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Page:Magasin d'Éducation et de Récréation, Tome XIV, 1901.djvu/208

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POUR L’HONNEUR

Aucun geste de protestation ou d’assentiment ne lui était échappé. À bien dire, ce n’était pas de l’indignation qui se peignait sur son visage, mais une curiosité intense.

Caroline s’était levée. Elle exultait :

« Il est entendu que nous gardons le secret à Odule, prononça-t-elle. Le public, ni même nos meilleurs amis, ne doivent se douter…

— Personne ! fit Pierre vivement. C’est l’honneur de la famille qui est en jeu. »

Pour le coup, Mme Saujon, tout à fait rassurée, quitta la pièce en annonçant qu’elle montait écrire à la femme de chambre de venir se présenter.

Pierre prêta l’oreille un moment, suivant la direction des pas. Sa physionomie s’était transfigurée. Lorsqu’il eut entendu les portes s’ouvrir et se refermer au premier étage, assuré de pouvoir parler sans crainte, il vint prendre les deux mains de son oncle, et, penché sur lui :

« Nous y emploierons s’il le faut jusqu’au dernier centime, n’est-ce pas, oncle Charlot ? Et si ce qu’a laissé votre frère ne suffit pas à tout réparer — sait-on ?… — nous prendrons sur notre propre bien. Que sa pauvre âme puisse reposer en paix, et nous, lever la tête ! »

Le vieillard approuva d’un signe, tandis qu’un sourire attendri creusait dans ses joues de petits sillons où se perdaient les larmes.

Devinant la question qu’il aurait voulu lui poser, Pierre ajouta :

« Pourquoi j’ai divagué de concert avec ma tante ? C’est cela que vous désirez savoir ?

— Oui.

— Parce qu’il va me falloir m’éloigner, rester longtemps absent, je le crains. Où m’entraîneront mes recherches ?… qui peut le dire ? Le point de départ est indiqué : c’est Thouars. Mais mon oncle Odule croit ce malheureux homme étranger à ce pays. D’où venait-il ?… Où allait-il ?… Si ma tante était instruite de ce que je compte faire, vous auriez à supporter ses constantes lamentations. Elle sera bien forcée, plus tard, de subir le fait accompli ; et puis, je serai là, vous ne pâtirez point de sa méchante humeur si elle accepte mal la chose. »

Encore une question dans les yeux de l’oncle Charlot : laquelle ? impossible à Pierre de le deviner. Mais il se trouva y répondre en exprimant sa perplexité quant à la manière d’entamer les démarches.

Partirait-il tout de suite ou bien entrerait-il d’abord en relations avec le maire de Thouars ?

« Oui, oui… cela… articula péniblement l’infirme.

— Vous jugez que je dois écrire et attendre la réponse, avant de me mettre en route ?

— Oui.

— C’est long, un quart de siècle, observa le jeune homme, pensif. Combien de changements survenus dans l’administration et partout !

— Peut-être… bégaya l’oncle Charlot.

— Au fait… peut-être, comme vous le dites. Il est des pays assez sages pour conserver leurs fonctionnaires contre vent et marée. Dans ce cas, il est vrai, c’est la mort qui les prend. Enfin, essayons. Puisque tel est votre avis, j’écrirai ce soir. »

Bien en prit à Pierre d’avoir suivi le conseil de son oncle, car un accident survint, lequel devait retarder son départ, quoi qu’il en eût.

Vers la fin de l’après-midi, petit Greg, qui tout le jour avait vaqué à ses occupations avec sa ponctualité ordinaire, petit Greg devint somnolent. Il ne put rien manger, se plaignit du mal de tête…

Après le dîner, quand tout le monde fut réuni au salon, il alla s’asseoir sur un tabouret bas, devant Pierre, tout contre lui, murmurant :

« Vous voulez bien que je reste là, dites, monsieur ?

— Reste, mon petit », fit le jeune homme distraitement, le regard ailleurs…

Retenues la veille de faire une visite à leurs amis, par la présence de leurs nombreux convives, bonne maman Lavaur et Gabrielle étaient venues passer une heure auprès d’eux.

La jeune fille avait pris une revue et lisait à haute voix pour essayer de distraire l’oncle Charlot ; car, en abordant Pierre, avant d’entrer au salon, ces dames étaient convenues avec lui de ne faire aucune allusion à la céré-