Aller au contenu

Page:Magasin d'Éducation et de Récréation, Tome XIV, 1901.djvu/214

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
213
POUR L’HONNEUR

que nous prenions la fuite avec ce manque de bravoure, nous.

— Résigne-toi ; nous dînerons ce soir à Chalon. Veuillez bien m’excuser auprès de votre tante et de votre oncle, monsieur Marcenay ; ce n’est pas que je redoute la contagion pour moi, mais je crois sage de m’abstenir d’aller leur dire adieu.

— Très sage, madame, approuva encore Marcenay.

— Il ne faudra pas que la maladie de petit Greg vous empêche de venir faire enfin connaissance avec la mère de Marc. Elle sera elle-même heureuse de vous voir, vous qui êtes depuis tant d’années le meilleur ami de son fils : nous comptons sur vous ; venez déjeuner et passer toute une journée, si cela vous est possible. »

Pierre articula un remerciement vague, ne prévoyant guère pouvoir accepter, puisque, sitôt libre, il comptait partir.

Et, saluant les deux femmes, il regagna la chambre du malade.

Celui-ci somnolait, toujours haletant, dans une agitation extrême, mais sans délire.

S’il était même une chose surprenante, c’était son mutisme.

Il ne parlait que pour demander à boire. Ni plaintes, ni questions, pas un mot autre que celui-ci :

« J’ai soif. »

Deux jours s’écoulèrent sans amener aucun changement.

Bonne maman Lavaur avait bel et bien effectué son projet : la maison voisine était close. Pierre écrivit à Catherine Dortan pour lui demander de l’aider à soigner le fils de son amie. Mais elle était au lit, la pauvre Catherine, prise par une crise de rhumatisme articulaire qui ne lui permettait même pas de tenir une plume : ce fut la supérieure qui dut répondre à Marcenay.

Le septième jour, aux premières lueurs du matin, Pierre, qui dormait sur le lit de camp dressé à côté de celui de petit Greg, fut réveillé par cet appel étrange.

« Grand-père ! tu es là ?

— Allons, bien ! Encore une complication ! voici le délire qui se déclare », murmura le jeune homme, se soulevant un peu afin d’observer le malade.

Mais à peine celui-ci eut-il entrevu Marcenay, qu’il lui sourit et lui tendit les bras, comme un bébé à sa mère.

Persuadé qu’il suivait son idée, l’idée éclose dans le délire, Pierre se pencha et laissa le petit enlacer son cou et l’embrasser sans rien lui dire.

Ce fut Greg qui ajouta :

« Je n’y étais plus, tout à l’heure. Je me croyais aux Égrats, du temps de grand-père… Il y a longtemps que je suis malade ?

— Une semaine tout juste. »

La tête posée sur l’oreiller, maintenant Greg promenait autour de lui un regard curieux, comme si sa mémoire se fût essayée à reprendre possession des choses.

Indiquant du doigt la tenture :

« Ça m’a bien tenu compagnie, ces fleurs, mais ça me faisait croire que j’étais chez nous, dans le jardin : j’embrouillais tout !

— Et, à présent, tu sais où tu es ?

— Oui, oh oui ! Il y a… l’oncle Charlot, et puis… Mlle Gabrielle, et puis… et puis…

— La « vieille dame », fit Pierre en riant.

— Oui, elle aussi, je la sais.

— Et moi, « tu me sais » ?

— J’ai pas de peine ! Je vous ai vu tout le temps, monsieur Pierre. Vous ne m’auriez pas quitté le jour et la nuit, je ne vous aurais pas mieux vu en dedans de moi. C’est à cause que je vous aime bien, je pense.

— Pauvre petit, songea Pierre, tu me payes mes veilles. »

Un peu de déroute existait encore dans l’esprit de l’enfant, néanmoins, car il ne s’était point aperçu des dispositions prises. C’est seulement en voyant Marcenay endosser sa robe de chambre qu’il remarqua le lit dressé auprès du sien.

« Jésus béni ! C’est vous qui me gardez ! »

Il joignait les mains, son regard éclatait de gratitude, mais ses lèvres restaient muettes parce que les mots qui lui venaient ne contentaient pas son cœur.

Ça finit par des larmes. Pierre les sécha en