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Page:Magasin d'Éducation et de Récréation, Tome XIV, 1901.djvu/219

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ED. GRIMARD

le Frêne (Fraxinus), qui appartient à celle des oléacées, se font remarquer par les qualités de tout premier ordre de leur bois précieux, dur et noueux chez le premier, résistant et élastique chez le second. Tous deux sont appréciés par les charrons, les carrossiers et les fabricants d’outils.

À propos d’orme, voulez-vous que je vous raconte une petite histoire dont je vous garantis l’authenticité et qui vous prouvera qu’indépendamment de ses autres qualités, l’orme n’est dépourvu ni de malice, ni d’un certain esprit… l’esprit qu’on attribue à certains végétaux ? Mon histoire a pour titre :

Les ormes de M. Duhamel.

Les ormes, vous les connaissez ; quant à M. Duhamel, c’était un botaniste célèbre qui vivait en 1750.

Cette double présentation faite, je pour suis.

M. Duhamel, donc, possédait un champ bordé d’une longue rangée d’ormes vigoureux dont les racines voraces dévastaient littéralement un bon tiers des plantations faites, chaque année, dans la propriété du botaniste. Ne vous étonnez pas de cette assertion. Les racines sont d’une gloutonnerie sans égale. Elles ne mangent pas, mais elles sucent, pompent l’eau et les sucs nutritifs de la terre, avec une telle puissance, que les plantes qui croissent dans le voisinage de certains arbres, et des ormes tout particulièrement, languissent, se fanent et finissent souvent par mourir de male mort, c’est-à-dire de faim.

Eh bien, voilà ce que faisaient nos ormes, ou plutôt ceux de M. Duhamel.

Que faire pour arrêter les déprédations de ces malfaiteurs audacieux ? Une chose bien simple, pensaM. Duhamel. Il fit creuser, tout le long de la rangée des ormes, une profonde tranchée dans laquelle furent coupées impitoyablement toutes les racines qui s’y aventuraient. Notre botaniste était désormais bien tranquille. Il replanta son champ pendant l’hiver et nargua ses déprédateurs bien et dûment réduits à l’impuissance par cette tranchée préservatrice.

Sécurité trompeuse ! Le printemps arriva. Les racines repoussèrent affamées, hardies, invaincues. Les voilà reparties en conquête. Qui les arrêtera dans leur course ?…

« La tranchée », se disait Duhamel.

Naïf et innocent Duhamel, qui, tout botaniste qu’il était, ne connaissait pas les ormes. Ceux-ci, en effet, allèrent tranquillement jusqu’à la tranchée. Là, ne pouvant franchir l’espace à ciel ouvert, ils s’arrêtèrent, puis, sans longue hésitation, descendirent perpendiculairement, enfoncèrent leurs racines jusqu’au-dessous du fossé, le dépassèrent, remontèrent de l’autre côté… et, de nouveau, s’étalèrent dans le champ défendu — mal défendu — qu’ils recommencèrent, pendant les années suivantes, à dévaster avec un silencieux acharnement.

Je ne sais ce que dit notre botaniste mys tifié, encore moins ce qu’il inventa pour obtenir sa revanche. Je me demande même si, découragé par l’obstination de ces invincibles pillards, il ne leur abandonna pas le champ contesté… Quoi qu’il en soit, avouez une chose, c’est qu’ils n’étaient vraiment pas bêtes, les ormes de M. Duhamel.

Le Noyer, dont nous avons déjà parlé dans le chapitre des plantes alimentaires, retrouve ici sa place, grâce au bois superbe qu’il nous lègue après sa mort.

Le noyer commun, le seul connu en Europe jusqu’à la découverte de l’Amérique, est un grand et bel arbre, originaire des bords de la mer Caspienne. Nous avons parlé de ses fruits, occupons-nous maintenant de son bois. Ce bois, doux, liant, flexible, se prête facilement au ciseau, au rabot, se polit à merveille et se transforme, sous la main des ébénistes, en toutes sortes de meubles d’une grande beauté, alors surtout qu’ils savent tirer parti des belles veines dont se colorent ses tissus. Les tourneurs, les sculpteurs, les carrossiers et les armuriers s’en servent très avantageusement. Dans plusieurs départements, et dans la Haute-Vienne, surtout, on en fait d’innombrables paires de sabots, auxquels les sabotiers artistes savent parfois donner des formes fort élégantes.