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Page:Magasin d'Éducation et de Récréation, Tome XIV, 1901.djvu/240

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POUR L’HONNEUR

ce n’eût pas été tout à fait de ma faute. Vous avez tourné si court que je ne vous voyais point venir. Vous n’avez pas de mal ?

— Rien, non, rien du tout, merci », répondit Pierre en soulevant son chapeau.

Mais il avait regardé son interlocuteur tandis que s’échangeaient entre eux ces quelques mots.

Ce visage aux traits massifs, ce profil romain, supporté par cette encolure puissante, cette carrure de géant, c’était Omer avec vingt et quelques années de plus !

Dans toute autre partie de la France, Pierre aurait constaté qu’il est des ressemblances étonnantes, et il eût passé. Mais si proche du pays natal de Fochard, immédiatement, la pensée lui vint qu’il devait avoir en face de lui le père de son camarade.

Souriant, presque affirmatif, il prononça :

« Ce serait à M. Fochard, de Saint-Varent, que j’aurais l’honneur de parler, je n’en serais pas surpris. »

Déjà prêt à se remettre en marche, le voyageur ainsi interpellé retint son cheval.

« Vous ne vous trompez pas, monsieur », répondit-il, dévisageant à son tour le jeune homme.

Cet examen dura moins de dix secondes. Vivement, il noua les guides, mit pied à terre, et secouant les mains de Pierre à les lui détacher des bras :

« Vous êtes M. Marcenay, pas vrai ? Ah ! vous m’avez reconnu à ma ressemblance avec mon fils : moi, je vous reconnais à votre ressemblance avec votre photographie. Je vous ai tous, les camarades du gars, dans le groupe qu’il nous a laissé l’an dernier ; il n’est pas de jour qu’on n’y jette un coup d’œil : c’est bien vous, n’est-ce pas, le Bourguignon ? »

Pierre n’eut que le temps de répondre par un signe de tête affirmatif.

« Je voudrais qu’ils soient tous avec vous, les autres, reprit M. Fochard. Omer rentre mardi.

— Comment ! il n’est pas là encore ?

— Il pourrait y être depuis une quinzaine, guère moins, mais il a profité de la faculté qu’on leur laisse de revenir en feuille de route par le chemin des écoliers. Il en a fait des kilomètres ! Sans compter une petite halte à Paris. Enfin, il revient demain : ce n’est pas trop tôt ! Ses sœurs l’attendent pour s’accorder[1]. On prépare une vraie noce à la maison. Je vous enlève, vous savez. Rien ne vous retient ici ? Vous voyagez pour le plaisir ? Oui, poursuivit l’excellent homme, continuant de faire les demandes et les réponses ; alors, en route ! De toutes les surprises qu’on ménage à Omer, vous serez la meilleure, sans contredit. Va-t-il être content de vous voir ! Et nous tous, donc ! À force de regarder le portrait des gens on se figure les avoir toujours connus. Et puis Omer nous a tant parlé de vous ! »

Pierre accepta, touché d’une cordialité si chaude.

Le temps de faire sa malle, d’écrire à son obligeant cicerone, pour lui annoncer son départ et lui donner sa nouvelle adresse, et il prenait place dans la carriole encombrée de paquets, à côté de Césaire Fochard rayonnant.

Un quart d’heure après son arrivée, sa présence était connue de tout le pays ; une petite bourgade à l’aspect misérable, bordant une route en pente, et à laquelle la rivière qui lui fait une ceinture et le doux paysage vallonné qui l’encadre, donnent seuls un peu de charme.

On installa Pierre dans la chambre d’honneur ; celle qu’avait occupée une fois le vieux marquis de La Rochejaquelein, et qui ne s’ouvrait que pour les amis ou les clients de marque.

Car Césaire Fochard était aubergiste en même temps que propriétaire-cultivateur.

Les jours de foire ou « d’assemblée », il prenait le tablier blanc et cuisinait pour sa nombreuse clientèle les mets du pays. Il y excellait, affirmait-on. Sa réputation dépassait même les limites de l’arrondissement, et, parfois, au temps de la chasse, il lui survenait de loin des hôtes qui établissaient chez lui leur quartier général, et rentraient chaque soir souper et prendre gîte.

Le reste du temps, il labourait, semait, ré-

  1. Se fiancer.