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Page:Magasin d'Éducation et de Récréation, Tome XIV, 1901.djvu/295

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hommes de l’équipage furent, les uns précipités par-dessus le bord, les autres écrasés par la chute des mâts. Le capitaine King et ses compagnons auraient péri comme eux, si deux des pirogues qui étaient à la mer ne les eussent recueillis au nombre de vingt-trois. Pendant plus de vingt-quatre heures, les survivants du Repton errèrent à l’aventure, sans vivres d’aucune sorte, cherchant à découvrir le Saint-Enoch, et ce fut le hasard qui les amena sur le lieu de l’échouage.

« Mais, ajouta le capitaine King, qui parlait couramment le français, ce que je ne m’explique pas, c’est qu’il existe un écueil en ces parages !… J’étais certain de ma position en latitude et en longitude.

— Comme moi de la mienne, répondit M. Bourcart, et à moins qu’un soulèvement sous-marin ne se soit récemment produit…

— C’est évidemment la seule hypothèse admissible, déclara M. Heurtaux.

— En tout cas, capitaine, reprit M. King, le Saint-Enoch a été moins malheureux que le Repton

— Sans doute, avoua M. Bourcart, mais comment et quand pourra-t-il remettre à la voile ?…

— Il n’a pas d’avaries graves ?…

— Non, et sa coque est intacte… Mais il semble qu’elle soit rivée à cet écueil, et, même après avoir sacrifié toute sa cargaison, il n’a pu se renflouer à l’étale de la mer !…

— À quel parti s’arrêter ?… » demanda le capitaine King, dont le regard s’était fixé successivement sur M. Bourcart et sur ses officiers.

Cette question resta sans réponse. Ce que l’équipage venait de tenter jusqu’ici pour rendre au Saint-Enoch sa ligne de flottaison n’avait point donné de résultat… Les éléments feraient-ils ce que les hommes n’avaient pu faire ?… Quant à embarquer dans les pirogues, n’était-ce pas courir à une perte certaine ?… Au nord, comme à l’est, comme à l’ouest, des centaines de milles séparaient les terres les plus rapprochées, soit les Kouriles, soit les Aléoutiennes. La fin d’octobre approchait… Les mauvais temps allaient se déchaîner bientôt. De faibles embarcations seraient à leur merci… Elles ne résisteraient pas à la première rafale… D’ailleurs, cinquante-six hommes n’y sauraient trouver place… Et ceux qui resteraient, quelle chance auraient-ils d’être sauvés, à moins qu’un bâtiment ne les recueillît en traversant cette partie du Pacifique !…

Ce fut alors que le docteur Filhiol posa au capitaine King la question suivante :

« Lorsque nous avons quitté ensemble Pétropavlovsk, vous aviez appris, sans doute, que les pêcheurs venaient de signaler au large la présence d’un monstre marin, devant lequel ils avaient fui en toute hâte ?…

— Effectivement, répondit le capitaine King, et je conviendrai que l’équipage du Repton en concevait une réelle épouvante…

— Ils croyaient à l’existence de ce monstre ?… reprit M. Heurtaux.

— Ils croyaient que c’était un calmar, un kraken, un poulpe gigantesque, et je ne vois pas trop pourquoi ils n’y auraient point cru…

— Par la raison, répondit le docteur, que ces poulpes, ces krakens, ces calmars n’existent pas, capitaine…

— Ne soyons pas si affirmatifs, monsieur Filhiol, fit observer Romain Allotte.

— Entendons-nous, mon cher lieutenant, on a bien rencontré des spécimens de ces monstres, on en a poursuivi quelques-uns, on en a même hissé à bord… Mais ils n’avaient point les dimensions colossales qu’on leur prête, et qui sont de pure imagination… Des géants de l’espèce, si l’on veut, qui auraient pu détruire une embarcation, passe encore, mais capables d’entraîner un navire de quelques cents tonneaux dans les profondeurs de la mer… non… non !…

— C’est absolument mon avis, confirma M. Bourcart, et des monstres d’une telle puissance sont à reléguer parmi les animaux légendaires…

— Cependant, insista le lieutenant Coquebert, les pêcheurs de Pétropavlovsk parlaient d’une sorte d’énorme serpent de mer qu’ils avaient aperçu…

— Et, ajouta le capitaine King, tel a été