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Page:Magasin d'Éducation et de Récréation, Tome XIV, 1901.djvu/337

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P. PERRAULT

Et à Pierre, sur un ton de supplication :

« Sois meilleur, toi : reste jusqu’à demain. J’ai une montagne de choses à te confier. C’est moi qui ai besoin de toi à présent, nous rentrons dans nos rôles ordinaires. »

Mais Pierre secoua la tête négativement.

« Impossible… Mon oncle est sur des charbons, et moi-même… Ne m’en veuille pas ; vraiment, il est indispensable que je rentre.

— Si cependant il t’avait fallu rechercher Legonidec, ainsi que tu t’y attendais…

— Je serais quand même rentré auparavant. À ton arrivée à Dracy, viens me voir. Nous causerons tant que tu voudras. Certes, moi aussi, j’en ai bien hâte !

— Oh ! tu auras de mes nouvelles auparavant », s’écria le comte de Trop, qui s’était enfin décidé à abandonner le marchepied.

Et, riant :

« Je remonte pour t’écrire : ma lettre partira en même temps que toi. »


CHAPITRE XII


Lorsque Pierre ouvrit la porte de sa chambre, Greg, assis sur le canapé, mais les jambes encore enroulées dans la couverture, méditait tout pensif.

Sachant ce qui devait se passer à l’autre bout de cet immense Paris entrevu à peine, aux lueurs troubles de l’aube, l’orphelin se sentait bien anxieux.

On avait parlé de son pauvre grand-père, là-bas ! Qu’en avait-on dit ?… Jamais il ne le saurait, sans doute.

Dès que Marcenay eut franchi le seuil, il chercha sur ses traits l’empreinte et comme l’écho des paroles prononcées : rien n’en restait.

Cette demi-heure de solitude en voiture avait rasséréné le jeune homme. Le passé commençait de s’enfoncer dans l’ombre ; il avait secoué le fardeau de honte, porté pour un autre, mais si lourd quand même ! Il sentait sa tâche accomplie ; sa belle confiance de vingt-cinq ans l’emportait sur les craintes et les dissentiments survenus ; l’avenir lui riait.

« Tu ne t’es pas ennuyé à m’attendre, gamin ? s’informa-t-il.

— Je me réveille il n’y a qu’un instant.

— Alors, debout. Viens courir Paris. Je veux t’en donner une idée, si vague soit-elle ! »

Puis, souriant :

« Je te ferai passer devant certaine école où tu suivras des cours plus tard, décidément. Car tu seras médecin, puisque telle est ta vocation.

— C’est aujourd’hui que vous avez arrêté ça, monsieur », fit Greg, étonné, cherchant à comprendre quel lien mystérieux le rattachait, lui, l’inconnu, l’orphelin, à ce qui avait dû avoir lieu chez le père du comte de Trop.

Mais il rêvait !… Cela n’avait sans doute aucun rapport. C’est en revenant que, se voyant riche, malgré la somme rendue, son protecteur avait pris cette décision.

Et, honteux de paraître si peu reconnaissant, vu que la surprise et ses réflexions intimes le tenaient muet devant Pierre, il murmura :

« Vous êtes bon pour moi comme si vous étiez mon propre père ! »

Le jeune homme fut presque tenté de lui en dire plus long ; de préciser, par exemple, où, dans quelles conditions il aurait à appliquer son savoir. Mais, outre que cela eût absorbé leur temps, la prudence lui conseillait de se taire.

« Je te raconterai une fois ou l’autre, quand tu auras pris un peu d’âge, quel médecin j’entends faire de toi. Pour le moment, filons vite, vite ; emballons tout. Nous dînerons au buffet en attendant le train. Le peu de jour qui nous reste, employons-le à faire le plus de chemin possible. Emplis-toi les yeux de ce que tu verras, mon bonhomme : il n’y a pas deux villes au monde comme Paris ! »

Greg obéit à la lettre et s’emplit tellement les yeux, l’esprit des choses entrevues qu’il en perdit, ou peu s’en faut, l’usage de la parole tant que roula la voiture. Pierre seul