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Page:Magre - La Luxure de Grenade, 1926.djvu/302

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LA LUXURE DE GRENADE

clairs et miraculeusement vides, les yeux sans haine, sans pitié, sans orgueil, sans désir, de Thomas de Torquemada. Peut-être y avait-il dans l’éloignement des prunelles une lueur de surprise.

Mais Almazan ne vit pas de visage autour de ces yeux immenses. Il ne distingua pas les traits de marbre auxquels il s’était attendu. Il n’y avait rien. Il était en présence du néant.

Dans ce néant, dans cette lumière vide des yeux, il fixa, comme une épée mille fois plus aiguë que celle de l’archange, son regard d’homme martyrisé en qui l’âme demeurait invincible. Le coup mystérieux eut l’air de se perdre dans le vide, mais il pénétra très avant dans une région subtile où les blessures ne guérissent pas et survivent à ceux qui les ont reçues.

Puis Almazan fit avec tout ce qui lui restait de force, de ses lèvres desséchées, le mouvement de cracher avec dégoût, et les ténèbres s’appesantirent sur lui.

— Il sera brûlé au prochain autodafé, dit la voix du vieillard, soudain pesante, pleine d’une infinie tristesse, pendant qu’il s’éloignait à tout petits pas, soutenu par l’inquisiteur, comme si c’était sa vie à lui qui avait été consumée par le supplice.

Dans les couloirs du donjon on emporta une loque humaine aux pieds calcinés jusqu’aux os et on la coucha dans son cachot avec le respect qu’elle méritait.

Et, plus tard, quand la conscience commença à se faire jour dans l’esprit d’Almazan, il entendait un indescriptible orchestre d’allégresse.