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Page:Malato - De la Commune à l'anarchie, Tresse et Stock, 1894.djvu/37

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tafia avarié et de vieux fusils inoffensifs, lui remettait un certain nombre de ses sujets mâles et femelles, ne manquant pas, selon toute vraisemblance, d’y comprendre les fortes têtes, dangereuses pour son autorité. Dans les deux cas, les Néo-Hébridais étaient mis aux fers, à fond de cale, philanthropique précaution contre des tentatives d’évasion à la nage qui eussent pu leur coûter la vie, dans ces mers peuplées de requins. Une fois à Nouméa, on les débarquait encore tout ahuris de ce voyage accompli dans les ténèbres, on les immatriculait au bureau de l’immigration, nom euphémique donné à la traite, puis on les adjugeait au premier acquéreur pour une période de trois ans et moyennant une somme variant entre 150 et 300 francs. Cette vente s’appelait un engagement et l’esclave était censé contracter volontairement, en toute connaissance de cause : inutile de dire qu’il ne voyait jamais le prix de vente de sa liberté, que se partageaient généralement le chef du bureau de l’immigration et l’engageur. Pas plus, d’ailleurs qu’il ne voyait la fin de sa servitude ; d’abord, parce que la mortalité pèse d’une façon effrayante sur les Néo-Hébridais, arrachés à leur pays, à leurs habitudes, à leur indolence, affamés et roués de coups ; ensuite, parce que ces primitifs n’ont qu’une vague notion du temps (j’en ai vu, à Oubatche, qui, vendus depuis dix-neuf ans, attendaient toujours l’expiration de trois années) ; puis, enfin et raison majeure, parce que, si le recrutement est organisé, le rapatriement ne l’est pas du tout. La vie de ces serfs, chez leur patron, surtout en dehors de Nouméa, est un véritable enfer : dérisoirement nourris de maïs ou de riz, avec de l’eau pour boisson, roués de coups, pourchassés par la police indigène à chaque tentative d’évasion, ils