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Page:Malato - De la Commune à l'anarchie, Tresse et Stock, 1894.djvu/86

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Je vis à ce moment, pour la première fois, des Canaques en costume primitif, c’est-à-dire en moinô. À quelle périphrase pourrai-je recourir afin d’expliquer, sans blesser la pudeur de nos chastes magistrats, ce qu’est le moinô ? Un doigt de gant… un peu gros, donnerait l’idée de cet étui, fait primitivement d’herbe, et aujourd’hui de linge, qui cache, non pas ce qu’on enleva à Abélard, mais ce qui est à côté. On pourrait appeler ce… vêtement, j’allais dire cette capote, le baromètre de l’amour : en effet, rien n’est plus commode aux beautés canaques, exemptes de préjugés, que d’y lire couramment les phases de la passion qu’elles inspirent.

Car l’amour est international ! Je fus tenté d’en douter lorsque, le lendemain matin, un dimanche, je vis s’approcher toute une bande de popinés, vêtues, non du moinô, et pour cause ! mais du tapa, jupon très court, tressé en filaments d’écorce, et qui s’étend de l’extrémité la plus inférieure du ventre jusqu’à mi-cuisse. Qu’elles étaient laides, avec leurs cheveux crépus, leurs mamelles pointues ou flasques, leurs membres grêles ! Depuis, je me suis habitué à leur vue, j’en ai même trouvé de fort jolies, mais je me rappelle encore l’impression réfrigérante que je ressentis, lorsqu’une de ces popinés, qui me parut certainement la plus affreuse, s’approchant de moi, me roucoula, les yeux dans les yeux : « Donne-moi… un chiqua[1] ».

Ils et elles aiment le tabac, pauvres sauvages auxquels nous avons pris la vie libre pour ne leur donner de notre civilisation que la fumée !

  1. Nom couramment donné par les Canaques de la brousse à la figue de tabac.