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Page:Malato - De la Commune à l'anarchie, Tresse et Stock, 1894.djvu/9

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avait tous les échantillons d’animaux à deux pattes : déportés politiques, forçats, — on en prit, le lendemain, trois cents à l’île d’Aix, — fantassins de marine, artilleurs, gendarmes, surveillants militaires, fonctionnaires grands, moyens et petits, émigrants libres, familles allant rejoindre leur chef. De l’arrière, où trônaient le commandant et son état-major, aux cages des prisonniers, en passant par le vulgum pecus, dont j’étais, parqué dans la batterie basse, ce navire offrait bien l’image de notre société hiérarchique et autoritaire !

Mon père, condamné à la déportation simple, faisait partie des vingt-cinq communards enfermés dans un compartiment grillé de l’entrepont sous la surveillance peu bénigne de quatre ou cinq gendarmes. Ma mère qui l’accompagnait comme moi au lieu d’exil, partageait, dans la batterie basse, le domicile commun des voyageurs libres : la nuit, une toile pudiquement baissée séparait les hamacs féminins des hamacs masculins et un factionnaire, rigide comme un eunuque dans l’observation de sa consigne, veillait à la répression des ardeurs coupables.

J’avais dix-sept ans, beaucoup d’imagination et de sensibilité naïve, énormément de timidité, — et il m’en est resté pas mal, — par contre, nulle crainte des dangers. C’est une anomalie qu’on rencontre fréquemment chez les victimes d’une trop bonne éducation bourgeoise. Mon père, bien que foncièrement révolutionnaire de tempérament et même d’esprit, a toujours conservé les mœurs de son aristocratique famille, et ma mère, élevée également dans un milieu des moins plébéiens, s’en ressentait malgré une grande largeur de pensée et de sentiment. Ayant perdu deux enfants en bas âge, ils avaient