Page:Malato - La Grande Grève.djvu/449

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gents d’esclaves. Là était le gros danger ; derrière le Quatrième-État, se créant, devenant chaque jour plus conscient, plus fort, surgirait-il un Cinquième-État, rebut formé de tous les misérables, des déshérités entre les déshérités, regardés avec dédain et hostilité par les ouvriers syndiqués, tout comme les bourgeois regardaient le peuple ? Le même fossé qui séparait celui-ci de ceux-là devait-il achever de se creuser définitivement entre réguliers et irréguliers du travail ? Les premiers ne se sentiraient-ils pas émus de pitié fraternelle pour les parias, ne chercheraient-ils pas à les attirer à eux au lieu de les repousser avec mépris ? Les seconds ne comprendraient-ils pas que leur intérêt final était, dussent-ils en souffrir momentanément, de se fondre avec les syndiqués pour livrer ensemble la lutte au capital ? Dans tous les pays où se livrait cette lutte, c’était dans cette masse énorme de sans-travail que les patrons recrutaient leurs auxiliaires, blacklegs d’Angleterre, esquirols d’Espagne, sarrazins et jaunes de France, autant d’esclaves soumis, prêts à écraser les esclaves en révolte, par la concurrence de leurs bras offerts aux exploiteurs pour des salaires de famine !

— Il faut répondre au manifeste anonyme, par un manifeste signé. Il faut adresser un appel vibrant aux jaunes, leur montrer quel est le devoir de solidarité.

Bernard demeurait songeur. Convenait-il d’épuiser en manifestes les fonds déjà si insuffisants ? Quelle serait la portée des manifestes sur des malheureux inconscients et affamés ? Devoir de solidarité, disait l’un ; mais n’étaient-ce pas là des mots vides pour des désespérés, recrutés dans les bas-fonds de la misère, tombés à l’état de loques humaines et incapables de tout autre sentiment que celui de conservation individuelle ?