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Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/240

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volonté n’est autre chose que l’impression de l’auteur de la nature qui nous porte vers le bien en général, ainsi que nous avons expliqué plus au long dans le premier chapitre du Traité des sens.

II. Ce que nous avons dit dans ce Traité des sens, et ce que nous venons de dire de la nature de l’esprit, ne suppose pas que nous connaissions toutes les modifications dont il est capable ; nous ne faisons point de pareilles suppositions. Nous croyons, au contraire, qu’il y a dans l’esprit une capacité pour recevoir successivement une infinité de diverses modifications que le même esprit ne connait pas.

La moindre partie de la matière est capable de recevoir une figure de trois, de six, de dix, de mille côtés, enfin la figure circulaire et l’elliptique, que l’on peut considérer comme des figures d’un nombre infini d’angles et de côtés, Il y a un nombre infini de différentes espèces de chacune de ces figures, un nombre infini de triangles de différentes espèces. encore plus de figures de quatre, de six, de dix, de dix mille côtés, et de polygones infinis ; car le cercle, l’ellipse, et généralement toute figure régulière ou irrégulière curviligne, se peut considérer comme un polygone infini ; l’ellipse, par-exemple, comme un polygone infini, mais dont les angles que font les côtés sont inégaux, étant plus grands vers le petit diamètre que vers le grand, et ainsi des autres polygones inñnis plus composés et plus irréguliers.

Un simple morceau de cire est donc capable d’un nombre infini, ou plutôt d’un nombre infiniment infini de différentes modifications, que nul esprit ne peut comprendre. Quelle raison donc de s’imaginer que l’âme, qui est beaucoup plus noble que le corps, ne soit œpable que des seules modifications qu’elle a déjà reçues ?

Si nous n’avions jamais senti ni plaisir ni douleur, si nous n’avions jamais vu ni couleur ni lumière, enfin si nous étions, à l’égard de toutes choses, comme des aveugles et comme des sourds à l’égard des couleurs et des sons, aurions-nous raison de conclure que nous ne serions pas capables de toutes les sensations que nous avons des objets ? Cependant ces sensations ne sont que des modifications de notre âme, comme nous avons prouvé dans le Traite des sens.

Il faut donc demeurer d’accord que la capacité qu’a l’âme de recevoir différentes modifications est aussi grande que la capacité qu’elle a de concevoir ; je veux dire que comme l’esprit ne peut épuiser ni comprendre toutes les figu res dont la matière est capable, il ne peut aussi comprendre toutes les différentes modifications que la puissante main de Dieu peut produire dans l’àme, quand même