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Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/388

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temps pour en savoir les raisons ; et il y a tant de ressorts différents dans le cerveau du plus petit des animaux, qu’il n’y a rien de pareil dans les machines les plus composées.

S’il n’est pas possible de comprendre parfaitement les ressorts de notre machine, il n’est pas aussi absolument nécessaire de les comprendre ; mais il est absolument nécessaire pour se conduire de bien savoir les effets que ces ressorts sont capables de produire en nous. Il n’est pas nécessaire de savoir comment une montre est faite pour s’en servir ; mais si l’on s’en veut servir pour régler son temps, il est du moins nécessaire de savoir qu’elle marque les heures. Cependant il y a des gens si peu capables de réflexion qu’on pourrait presque les comparer à des machines purement inanimées. Ils ne sentent point en eux-mêmes les ressorts qui se débandent à la vue des objets ; souvent ils sont agîtés sans qu’ils s’aperçoivent de leurs propres mouvements ; ils sont esclaves sans qu’ils sentent leurs liens ; ils sont enfin conduits en mille manières différentes sans qu’ils reconnaissent la main de celui qui les gouverne. Ils pensent être les seuls auteurs de tous les mouvements qui leur arrivent ; et, ne distinguant point ; ce qui se passe en eux-mêmes en conséquence d’un acte libre de leur volonté d’avec ce qui s’y produit par l’impression des corps qui les environ rient, ils pensent qu’ils se conduisent eux-mêmes dans le temps qu’ils sont conduits par quelque autre. Mais ce n’est pas ici le lieu d’expliquer ces choses.

Les rapports que l’auteur de la nature a mis entre nos inclinations naturelles afin de nous unir les uns avec les autres semblent encore être plus dignes de notre application et de nos recherches que ceux qui sont entre les corps ou entre les esprits par rapport aux corps. Car tout y est réglé de telle manière que les inclinations qui semblent être les plus opposées la société y sont les plus utiles lorsqu’elles sont un peu modérées.

Le désir, par exemple, que tous les hommes ont pour la grandeur tend par lui-même à la dissolution de toutes les sociétés. Néanmoins ce désir est tempéré de telle manière par l’ordre de la nature, qu’il sert davantage au bien de l’état que beaucoup d’autres inclinations faibles et languissantes. Car il donne de l’émulation, il excite à la vertu, il soutient le courage dans le service qu’on rend à la patrie, et l’on ne gagnerait pas tant de victoires si les soldats et principalement les officiers n’aspiraient la gloire et aux charges. Ainsi vous ceux qui composent les armées, ne travail tant que pour leurs intérêts particuliers, ne laissent pas de procurer le bien de tout le pays. Ce qui fait voir qu’il est très-avantageux pour le