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Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/427

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quement Dieu, et pour mépriser les corps comme indignes de notre amour. Mais nous ne sentons point naturellement notre union avec Dieu. Ce n’est point par l’instinct du sentiment que nous sommes persuadés que Dieu est notre tout, si ce n’est par la grâce de Jésus-Christ, laquelle cause en certaines personnes ce sentiment, pour les aider à vaincre le sentiment contraire par lequel ils sont unis au corps. Car Dieu, comme auteur de la nature, porte les esprits à son amour par une connaissance de lumière et non point par une connaissance d’instinct ; et selon toutes les apparences ce n’est que depuis le péché qu’il ajoute comme auteur de la grâce l’instinct, la délectation prévenante à la lumière : à cause que notre lumière est maintenant beaucoup diminuée, qu’elle est incapable de nous porter à Dieu, et que l’effort du plaisir ou de l’instinct contraire l’affaiblit sans cesse et la rend inefficace.

Nous découvrons donc par la lumière de l’esprit que nous sommes unis à Dieu et au monde intelligible qu’il renferme ; et nous sommes convaincus par le sentiment que nous sommes unis à notre corps, et par notre corps au monde matériel et sensible que Dieu a créé. Mais comme nos sentiments sont plus vifs, plus touchants, plus fréquents, et même plus durables que nos lumières ; il ne faut pas s’étonner que nos sentiments nous agitent, et réveillent notre amour pour toutes les choses sensibles, et que nos lumières se dissipent et šévanouissent sans produire en nous aucune ardeur pour la vérité.

ll est vrai qu’il y a bien des gens qui sont persuadés que Dieu est leur vrai bien, qui l’aiment comme leur tout, et qui désirent avec ardeur d’augmenter et de fortifier l’union qu’ils ont avec lui. Mais il y en a très-peu qui sachent avec évidence que ce soit s’unir avec Dieu, selon les forces naturelles, que de connaître la vérité ; que ce soit une espèce de possession de Dieu même que de contempler les véritables idées des choses, et que ces vues abstraites de certaines vérités générales et immuables qui règlent toutes les vérités particulières soient des efforts d’un esprit qui s’attache à Dieu et qui quitte le corps. La métaphysique, les mathématiques pures, et toutes les sciences universelles qui règlent et qui renferment les sciences particulières, comme l’être universel renferme tous les êtres particuliers, paraissent chimériques presqu’à tous les hommes, aux gens de bien comme à ceux qui n’ont aucun amour pour Dieu. De sorte que je n’oserais presque dire que l’application à ces sciences est l’application de l’esprit à Dieu. la plus pure et la plus parfaite dont on soit naturellement capable, et que c’est dans la vue du monde intelligible qu’elles ont pour