Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/529

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voir pourquoi il le voudrait. Corps, esprits, pures intelligences tout cela ne peut rien. C’est celui qui a fait les esprits qui les éclaire et qui les agite. C’est celui qui a créé le ciel et la terre qui en règle les mouvements. Enfin c’est l’auteur de notre être qui exécute nos volontés ; Semel jussít, semper paret. Il remue même notre bras lorsque nous nous en servons contre ses ordres ; car il se plaint par son prophète[1], que nous le faisons servir à nos désirs injustes et criminels.

Toutes ces petites divinités des païens et toutes ces causes particulières des philosophes ne sont que des chimères, que le malin esprit tâche d’établir pour ruiner le culte du vrai Dieu, pour en occuper des esprits et des cœurs que le Créateur n’a faits que pour lui. Ce n’est point la philosophie que l’on a reçue d’Adam qui apprend ces choses, c’est celle que l’on a reçue du serpent, car depuis le péché l’esprit de l’homme est tout païen. C’est cette philosophie qui, jointe aux erreurs des sens, a fait adorer le soleil, et qui est encore aujourd’hui la cause universelle du dérèglement de l'esprit et de la corruption du cœur des hommes. Pourquoi, disent-ils par leurs actions, et quelquefois même par leurs paroles, n’aimerons nous pas le corps, puisque les corps sont capables de nous combler de plaisirs ? Et pourquoi se moque-t-on des Israélites qui regrettaient les choux et les oignons de l’Égypte, puisqu’ils étaient effectivement malheureux, étant privés de ce qui pouvait les rendre en quelque manière heureux ? Mais la philosophie que l’on appelle nouvelle, que l’on représente comme un spectre pour effrayer les esprits faibles, que l’on méprise et que l’on condamne sans l’entendre ; la philosophie nouvelle, dis-je, puisqu’on se plait à l’appeler ainsi, ruine toutes les raisons des libertins par l’établissement du plus grand de ses principes, qui s’accorde parfaitement avec le premier principe de la religion chrétienne : qu’il ne faut aimer et craindre qu’un Dieu, puisqu’il n’y a qu’un Dieu qui nous puisse rendre heureux.

Car, si la religion nous apprend qu’il n’y a qu’un vrai Dieu, cette philosophie nous fait connaître qu’il n'y a qu’une véritable cause. Si la religion nous apprend que toutes les divinités du paganisme ne sont que des pierres et des métaux sans vie et sans mouvement. cette philosophie nous découvre aussi que toutes les causes secondes, ou toutes les divinités de la philosophie, ne sont que de la matière et des volontés inefficaces. Enfin, si la religion nous apprend qu’il ne faut point fléchir le genou devant des dieux qui ne sont point dieux, cette philosophie nous apprend aussi que notre ima-

  1. Isaïe. 13. 21.