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Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/617

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à les séparer en un sens, parce que ces deux parties de marbre sont pressées et comprimées par l’air de dehors qui les environne, et ne sont point si fort poussées par le dedans. Je pourrais apporter une infinité d’autres expériences pour prouver que l’air grossier qui appuie sur les corps qu’il environne unit fortement leurs parties ; mais ce que j’ai dit suffit pour expliquer nettement ma pensée sur la question présente.

Je dis donc que ce qui fait que les parties des corps durs, et de ces petits liens dont j’ai parlé auparavant, sont si fort unies les unes avec les autres, c’est qu’il y a d’autres petits corps au dehors infiniment plus agités que l’air grossier que nous respirons, qui les poussent et qui les compriment, et que ce qui fait que nous avons de la peine à les séparer n’est pas leur repos, mais l’agitation de ces petits corps qui les environnent et qui les compriment. De sorte que ce qui résiste au mouvement n’est pas le repos, qui n’en est que la privation et qui n’a de soi aucune force, mais quelque mouvement contraire qu’il faut vaincre.

Cette simple exposition de mon sentiment paraît peut-être raisonnable ; néanmoins je prévois bien que plusieurs personnes auront beaucoup de peine à y entrer. Les corps durs font une si grande impression sur nos sens lorsqu’ils nous frappent, ou que nous faisons effort pour les rompre, que nous sommes portés à croire que leurs parties sont unies bien plus étroitement qu’elles ne le sont en effet. Et au contraire les petits corps que j’ai dits les environner, auxquels j’ai donné la force de pouvoir causer cette union, ne faisant aucune impression sur nos sens, semblent être trop faibles pour produire un effet si sensible.

Mais, pour détruire ce préjugé qui n’est fondé que sur les impressions de nos sens et sur la difficulté que nous avons d’imaginer des corps plus petits et plus agités que ceux que nous voyons tous les jours, il faut considérer que la dureté des corps ne se doit pas mesurer par rapport à nos mains ou aux efforts que nous sommes capables de faire, qui sont différents en divers temps. Car enfin, si la plus grande force des hommes n’était presque rien en comparaison de celle de la matière subtile, nous aurions grand tort de croire que les diamants et les pierres les plus dures ne peuvent avoir pour cause de leur dureté la compression des petits corps très-agités qui les environnent. Or, on reconnaîtra visiblement que la force des hommes est très-peu de chose, si l’on considère que la puissance qu’ils ont de mouvoir leur corps en tant de manières, ne vient que d’une très-petite fermentation de leur sang, laquelle en agite quelque peu les petites parties et produit ainsi les espríts