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Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/625

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tent notre orgueil secret, parce qu’elles nous font admirer du commun des hommes. J’ai montré que l’inclination pour les plaisirs détourne sans cesse la vue de l’esprit de la contemplation des vérités abstraites, qui sont les plus simples et les plus fécondes, et qu’elle ne lui permet pas de considérer aucune chose avec assez d’attention et de désintéressement pour en bien juger ; que les plaisirs étant des manières d’être de notre âme, ils partagent nécessairement la capacité de l’esprit, et qu’un esprit partagé ne peut pleinement comprendre ce qui a quelque étendue. Enfin j’ai fait voir que le rapport et l’union naturelle que nous avons avec tous ceux avec qui nous vivons est l’occasion de beaucoup d’erreurs dans lesquelles nous tombons, et que nous communiquons aux autres, comme les autres nous communiquent celles dans lesquelles ils sont tombés.

Dans le cinquième, en tâchant de donner quelque idée de nos passions, j’ai ce me semble assez fait voir qu’elles sont établies pour nous unir à toutes les choses sensibles, et pour nous faire prendre parmi elles la disposition que nous devons avoir pourleur conservation et pour la nôtre ; que de même que nos sens nous unissent à notre corps et répandent pour ainsi dire notre âme dans toutes les parties qui le composent, ainsi nos émotions nous font comme sortir hors de nous-mêmes, pour nous répandre dans tout ce qui nous environne ; qu’enfin elles nous représentent sans cesse les choses, non selon ce qu’elles sont en elles-mêmes pour former des jugements de vérité, mais selon le rapport qu’elles ont avec nous, pour former des jugements utiles à la conservation de notre être et de ceux avec lesquels nous sommes unis ou par la nature ou par notre volonté.

Après avoir essayé de découvrir les erreurs dans leurs causes, et de délivrer l’esprit des préjugés auxquels il est sujet, j’ai cru qu’enfin il était temps de le préparer à la recherche de la vérité. Ainsi j’ai expliqué dans le sixième livre les moyens qui me semblent les plus naturels pour augmenter l’attention et l’étendue de l’esprit, en montrant l’usage que l’on peut faire de ses sens, de ses passions et de son imagination, pour lui donner toute la force et toute la pénétration dont il est capable. Ensuite j’ai établi certaines règles qu’il faut nécessairement observer pour découvrir quelque vérité que ce soit ; je les ai expliquées par plusieurs exemples pour les rendre plus sensibles, et j’ai choisi ceux qui m’ont paru les plus utiles ou qui renfermaient des vérités plus fécondes et plus générales, afin qu’on les lût avec plus d’application, et qu’on se les rendit plus sensibles et plus familières.