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Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/79

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Il s’ensuit de là que c’est avec une grande sagesse que l’auteur de l’union de notre âme avec notre corps a ordonné que nous sentions de la douleur quand il arrive au corps un changement capable de lui nuire, comme quand une aiguille entre dans la chair ou que le feu en sépare quelques parties, et que nous sentions du chatouillement ou une chaleur agréable quand ces mouvements sont modérés, sans apercevoir la vérité de ce qui se passe dans notre corps ni les mouvements de ces fibres dont nous venons de parler.

Premièrement, parce qu’en sentant de la douleur et du plaisir, qui sont des choses qui diffèrent bien davantage que du plus ou du moins, nous distinguons avec plus de facilité les objets qui en sont l’occasion ; secondement, parce que cette voie de nous faire connaître si nous devons nous unir aux corps qui nous environnent ou nous en séparer est la plus courte, et qu’elle occupe moins la capacité d’un esprit qui n’est fait que pour Dieu ; enfin, parce que la douleur et le plaisir étant des modifications de notre âme, qu’elle sent par rapport à son corps et qui la touchent bien davantage que la connaissance du mouvement de quelques fibres qui lui appartiendraient, cela l’oblige à s’en mettre fort en peine, et fait une union très-étroite entre l’une et l’autre partie de l’homme. Il est donc évident de tout ceci que les sens ne nous sont donnés que pour la conservation de notre corps, et non pour nous apprendre la vérité.

Ce que l’on vient de dire du chatouillement et de la douleur se doit entendre généralement de toutes les autres sensations, comme on le verra mieux dans la suite. On a commencé par ces deux sentiments plutót que par les autres, parce que ce sont les plus vifs et qu’ils font concevoir plus sensiblement ce que l’on voulait dire.

Il est présentement très-facile de faire voir que nous tombons en une infinité d’erreurs touchant la lumière et les couleurs, et généralement touchant toutes les qualités sensibles, comme le froid, le chaud, les odeurs, les saveurs, le son, la douleur, le chatouillement ; et, si je voulais m’arrêter à rechercher en particulier toutes celles où nous lombons sur tous les objets de nos sens, des années entières ne suffiraient pas pour les déduire, parce qu’elles sont presque infinies. Ainsi ce sera assez d’en parler en général.

Dans presque toutes les sensations il y a quatre choses différentes, que l’on confond, parce qu’elles se font toutes ensemble et comme en un instant. C’est là le principe de toutes les autres erreurs de nos sens.

VI. La première est l’action de l’objet, c’est-à-dire dans la