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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/115

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le besoin de les justifier, d’obtenir la garantie de leur antiquité et de leur réalité, bref d’étayer leur validité. La mort, hélas, n’a rien de vague et d’abstrait par quoi elle échapperait à la compréhension humaine. Elle n’est que trop quotidiennement concrète et réelle, trop facile à comprendre pour quiconque a vu la mort frapper ses proches parents ou a eu l’occasion de se voir près de mourir lui-même. Si la mort était quelque chose de vague ou d’irréel, l’homme n’éprouverait pas le besoin d’en parler si souvent ; mais l’idée de la mort est enveloppée d’horreur, et l’homme cherche à en écarter la menace, avec le vague espoir, non de l’expliquer, mais de la supprimer, de la rendre irréelle, de la noyer dans la négation. Le mythe qui inculque la croyance à l’immortalité, à la jeunesse éternelle, à une vie d’au delà du tombeau, ne constitue pas une réaction intellectuelle à une énigme, mais exprime un acte de foi explicite, ayant sa source dans une réaction des plus profondément instinctives et émotionnelles à l’idée la plus formidable et la plus obsédante. Les histoires relatives aux « origines des rites et des coutumes » n’ont pas davantage pour but d’expliquer les uns et les autres. Loin d’expliquer quoi que ce soit, elles se bornent, toujours et dans tous les cas, à établir un précédent qui constitue un idéal et à garantir sa pérennité ; parfois elles contiennent des directives pratiques touchant à la manière de procéder.

Nous nous séparons ainsi sur tous les points de l’excellente, quoique concise, définition de la science de la mythologie moderne. Cette définition implique une catégorie de récits imaginaires, inexistants : de mythes étiologiques correspondant à un désir d’explication dont nous contestons l’existence, exprimant un « effort intellectuel » qui nous apparaît comme une conception illusoire et sans aucun rapport avec la culture et l’organisation des indigènes, c’est-à-dire avec tous leurs intérêts pragmatiques. Cette définition nous paraît fausse, parce qu’elle voit dans les mythes des histoires pures et simples, des produits d’un travail intellectuel, effectué par des gens oisifs et désintéressés, parce qu’elle les détache de leur contexte vivant et qu’elle les étudie tels qu’ils sont enregistrés sur le papier, et non d’après la fonction qu’ils remplissent dans la vie réelle. En adoptant cette définition, on renonce à la possibilité de comprendre la