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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/118

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Pour comprendre ce mythe, il ne suffit pas de suivre le dialogue entre le Porc et le Chien qui peut apparaître insignifiant et banal. Quand on connaît la sociologie des indigènes et le rôle important qu’y joue le rang, quand on sait que la nourriture et les restrictions alimentaires (tabous de rang et de clan) constituent la principale indication de la nature sociale d’un homme et qu’on est familiarisé avec la psychologie de l’identification totémique, on comprend sans peine pourquoi l’incident que nous venons de relater et qui s’est produit à une époque où l’humanité était encore in statu nascendi, a fixé une fois pour toutes les rapports entre les deux clans rivaux. Pour bien comprendre ce mythe, il faut connaître à fond la sociologie des indigènes, leur religion, leurs coutumes, leurs préférences. C’est alors, et seulement alors, qu’on est à même de se rendre compte de ce que cette histoire signifie pour les indigènes et comment elle se rattache à leur vie. Si vous aviez l’occasion de vivre au milieu d’eux et d’apprendre leur langage, vous seriez frappé par la fréquence des discussions et des querelles au sujet de la supériorité relative des différents clans et des divers tabous alimentaires qui soulèvent très souvent des questions de casuistique très délicates. Et surtout, si vous vous trouviez en contact avec des communautés qui continuent à subir l’influence du clan Malasi, vous ne manqueriez pas de constater que le mythe dont il s’agit constitue toujours une force active.

Fait assez remarquable : le premier et le dernier des animaux émergés, l’iguane et le totem Lukwasisiga, se sont trouvés écartés dès le début ; on peut donc dire que le raisonnement impliqué dans le mythe ne respecte pas rigoureusement l’exactitude numérique et la logique des événements.

Si on entend souvent, dans la tribu, des allusions au principal mythe de Laba’i établissant la supériorité relative des quatre clans, les mythes locaux moins importants ne sont pas moins vivants et actifs, chacun dans sa communauté. Lorsque des membres d’une communauté arrivent dans un village éloigné, on ne leur raconte pas seulement les légendes historiques qui se rattachent à ce village, mais aussi et surtout on les initie à sa charte mythologique, à ses connaissances magiques, à la nature de ses occupations, au rang et à la place qu’il occupe