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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/31

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tout d’abord dans ces rites, c’est leur caractère religieux : ce sont des actes de piété envers le défunt, dictés par la peur, par l’amour ou par la sollicitude pour son esprit. En tant qu’épanchement rituel et public d’un sentiment, ils font également partie de la vie cérémonielle de la communauté.

Qui pourrait donc soupçonner que ces transactions religieuses ont un aspect légal ? Cependant il n’est pas, aux îles Trobriand, un seul acte funéraire, une seule cérémonie, qui ne soit considéré comme une obligation incombant à celui qui l’accomplit envers tel ou tel survivant. La veuve pleure et se lamente, fait étalage d’affliction cérémonielle, de piété religieuse et de crainte, mais la violence de ces manifestations a également pour but de procurer une satisfaction directe aux frères et aux parents maternels de son mari décédé. Ce sont en effet les parents en ligne maternelle qui, selon la théorie que les indigènes professent au sujet de la parenté et du deuil, sont réellement affectés par cette mort. La femme, bien qu’ayant cohabité avec son mari, est considérée, toujours d’après cette théorie, comme une étrangère, et cela malgré la violence souvent sincère avec laquelle elle manifeste son chagrin. Son devoir envers les membres survivants du clan de son mari consiste précisément à étaler son chagrin, à s’imposer une longue période de deuil et à porter, à titre d’ornement, pendant quelques années l’os maxillaire du mari. Hâtons-nous de dire que cette obligation n’est pas sans réciprocité. À la première grande distribution cérémonielle, qui a lieu trois jours après la mort du mari, elle reçoit des parents de celui-ci une rétribution substantielle pour ses larmes. Et aux fêtes cérémonielles suivantes elle reçoit d’autres rétributions pour la prolongation de son deuil. Il ne faut pas oublier en outre que le deuil des indigènes n’est qu’un anneau dans la longue chaîne de réciprocités existant entre le mari et la femme et entre leurs familles respectives.