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LA BOURDONNAIS ET DUPLEIX

le 26 il hésite, quoiqu’il sache qu’elle s’est éloignée sans destination connue. Il s’appuie sur la différence qu’il y a à commander les vaisseaux du Roi ou ceux de la Compagnie. Sur les premiers, disait-il, on doit tout risquer pour la gloire, et sur les seconds on doit regarder au profit ; il émettait son opinion que la flotte était insuffisante pour la double tâche d’attaquer Madras et de détruire l’escadre anglaise, renforcée des vaisseaux qu’elle attendait. Dans cette perplexité, il s’adressa au Conseil supérieur pour obtenir son avis[1].

Le Conseil se réunit extraordinairement à ce sujet ; treize membres étaient présents. On prit une décision très-positive qui fut transmise à La Bourdonnais, dans une lettre datée du jour même. Après avoir récapitulé les préparatifs qui avaient été faits, le temps qui avait été perdu, les changements d’opinion de l’Amiral, on lui offrait le choix entre deux partis. Il devait, lui disait-on, ou aller attaquer Madras ou aller chasser la flotte anglaise des mers de l’Inde. Elle devait alors être en position d’intercepter tout vaisseau venant d’Europe, tandis qu’il restait là, ne faisant rien et parlant d’abandonner dès le 15 octobre la colonie, à la merci de la flotte anglaise. La lettre se terminait ainsi : « Nous croyons pouvoir dire qu’il seroit fâcheux, honteux même pour la nation, d’abandonner ces deux moyens pendant que nous avons une certitude morale que le trésor et les vaisseaux que nous attendons d’Europe seront pris par l’escadre ennemie et qu’il y a une aussi grande certitude que vous réussirez dans l’un des deux. Il est également important de ne pas rendre inutiles les dépenses et les forces de votre escadre. Quels reproches n’auriez-vous point à vous faire si, en même temps que vous paraissez vouloir abandonner un projet qui peut servir d’indemnité, nos ennemis, presque à la portée de votre escadre, s’emparaient des vaisseaux que nous attendons d’Europe[2] ?

Quelle étrange transformation peut produire dans le caractère d’un homme, la contrainte à l’obéissance que veut lui imposer une

  1. M. de La Bourdonnais à M. Dupleix, 26 août 1716.
  2. Lettre du Conseil supérieur, 26 août 1716.