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POLITIQUE ADROITE DE BUSSY

droit pour agir ainsi. Il s’enferma, au contraire, avec ses troupes dans la forteresse, et entreprit de les former à la courtoisie et à des mœurs douces : c’était un moyen de décupler leur puissance. Ils n’excitaient aucune jalousie, et chacun savait ce qu’ils avaient fait, ce qu’ils étaient capables de faire, et ce qu’ils seraient prêts à entreprendre sur un signe de Bussy. Sa présence était d’autant plus influente, qu’on le voyait exercer plus facilement son autorité sur ses troupes.

Mais ce n’était pas seulement sur la force qu’il comptait : elle n’était pas la base sur laquelle il fondait des plans dont il voulait trouver le succès dans sa profonde connaissance du caractère indigène. Quoique franc, ouvert et conciliant, il était, à cette époque où l’âge et la goutte n’avaient pas encore commencé à ruiner ses facultés, un modèle de résolution et de tact. Il avait passé plusieurs années dans l’Inde en contact incessant avec les indigènes, surtout avec ceux d’un rang élevé, et il les comprenait parfaitement. Il avait aussi l’avantage d’avoir un plan bien arrêté. Avant de quitter Pondichéry, il s’était concerté avec Dupleix sur la nature des relations qu’il devait entretenir avec Mozuffer-Jung, et il ne prévoyait pas d’empêchement à suivre ses instructions à la lettre, en face d’un caractère mou comme celui de Salabut. La carte de l’Inde et l’histoire de l’époque nous montreront combien son plan était vaste, gigantesque, et cependant praticable ; séparé par la chaîne du Vindya de l’empire désorganisé du Mogol, le possesseur de la province mahométane du Décan semblait en position de dicter des lois à toute l’Inde méridionale. Il commandait à une grande armée et régnait sur une population guerrière ; il était seigneur suzerain du nabab du Carnate, et exerçait dans cette province l’autorité du Mogol. Il possédait ainsi la puissance morale et le pouvoir physique. Il avait, et le droit d’employer la force, et la force prête à être employée. Or, dans ces temps où le nom du Mogol était tout et la réputation des colons comparativement rien, ce double pouvoir était un levier en réalité très-puissant et en apparence irrésistible.

Telle étant la position de la province appelée le Décan, et tel étant le pouvoir de son prince, pouvons-nous infliger un grand