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Page:Mandat-Grancey Chicago 1898.djvu/10

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Malgré l’extrême vitesse du train, on n’est vraiment pas trop secoué. La voie est excellente ; mais ce que nous ne nous lassons pas d’admirer, c’est le confort et même le luxe de nos wagons. À l’intérieur, toutes les boiseries sont ornées de marqueteries italiennes, en érable sur citronnier, d’un goût parfait. Des tapis épais couvrent les parquets ; les tentures des canapés et les rideaux sont confectionnés avec une sorte d’étoffe de fantaisie, très moelleuse, du plus heureux effet ; toutes les serrures sont nickelées et reluisent comme de l’argent. Ces wagons Pullman appartiennent tous, paraît-il, à leur inventeur, qui paye seulement un droit de circulation aux compagnies. Ils sont construits dans d’immenses ateliers situés près de Chicago, par quantités énormes, ce qui permet d’employer, pour chaque détail, un outillage complet, grâce auquel la construction atteint un degré de perfection incroyable.

Tout cela est entretenu avec une propreté méticuleuse. Le fumoir est meublé de grands divans et de fauteuils en rotin, mobiles. Un gardien spécial tient à la disposition des voyageurs des livres qu’on peut acheter ou louer. Il y a aussi un bureau avec tout ce qu’il faut pour écrire, à l’usage de ceux qui veulent employer leur temps à faire leur correspondance. En somme, il est impossible de rêver une manière de voyager plus agréable.

Vers midi, on vient annoncer le déjeuner. Nous pénétrons dans le wagon-restaurant, qui est muni, à l’une de ses extrémités, d’une cuisine complète dans laquelle opèrent trois cuisiniers en vestes blanches, et d’un office d’où un maître d’hôtel surveille les performances de deux garçons mulâtres. De chaque côté il y a six petites tables, avec du linge bien blanc et un gros bouquet de fleurs dans un vase, sur chacune. Le menu est étonnamment varié et abondant, et on nous sert un repas excellent.

Mlles Minnie et Annie n’ont pas cessé, depuis ce matin, de manger des bananes et des pêches qu’elles achetaient à un gamin qui circule dans le train. Cela ne les empêche pas de venir s’asseoir à la table voisine de la nôtre, et nous eh profitons pour prendre en note leur menu et faire connaître aux jeunes Françaises qui seraient tentées d’envier la liberté dont jouissent les miss américaines, la déplorable façon dont ces dernières s’en servent, au grand dommage de leurs estomacs.

Elles ont commencé, pour s’ouvrir l’appétit, par grignoter deux ou trois épis de maïs bouilli, bien chauds ; puis on leur a servi, cassés dans un verre, deux œufs. Elles les ont libéralement saupoudrés de sel, de poivre et de cayenne, ont battu du bout de leur couteau et ont bu le tout avec une visible satisfaction. Ensuite elles se sont fait apporter un concombre et deux grosses tomates crus, les ont découpés en tranches minces qu’elles ont mangées en salade, sans huile, mais avec force condiments délayés dans deux grandes cuillerées de vinaigre. Suffisamment rassasiées, elles ont