Aller au contenu

Page:Mandat-Grancey Chicago 1898.djvu/18

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 18 —

ché de grains du monde entier car c’est dans ses élévateurs que viennent affluer toutes ces expéditions de blé qui inondent le marché européen : c’est aussi le pays de l’univers où il se tue le plus de cochons : on y abat également pas mal de bœufs pour en faire des conserves. Mais le massacre des bœufs n’est rien en comparaison de celui des cochons.



chicago. — wabash street.


L’établissement où l’on nous conduit, le plus important de tous, celui de MM. Armour et Cie, est un immense bâtiment à cinq ou six étages. À l’une des extrémités sont des parcs, où des trains de chemin de fer viennent constamment décharger leur cargaison vivante et grognante. Les nouveaux arrivés poussant les anciens, ces malheureux animaux, affolés, se précipitent à l’escalade d’un plan incliné, en forme de triangle dont le sommet atteint le niveau de l’étage supérieur.

Nous y montons, de l’autre côté, par un escalier dont les marches sont toutes glissantes de sang. On nous fait pénétrer dans une grande pièce qui a l’apparence d’un véritable pandémonium. Je commence à croire que mon Marseillais a moins exagéré que je ne me le figurais. Des hommes à moitié nus, ruisselants de sang, courent de tous les côtés au milieu de machines d’apparence sinistre ; des débris sans nom couvrent le plancher ; des chaînes, armées de crocs aigus, retombent vers le sol, après s’être enroulées à des poulies pendues au plafond : à nos pieds, se trouve une sorte de puits carré, de trois ou quatre mètres de côté, sur deux de profondeur. Une porte à coulisse se relève : c’est alors que nous voyons la masse grouillante des porcs, dont une simple cloison nous sépare. La seule pression de tous ces corps en fait rouler douze ou quinze dans le puits. La porte retombe alors. Un homme saute au milieu d’eux, saisit le jarret du premier qui lui tombe sous la main et y enfonce l’un des crocs que nous avons vus. Le cochon, hissé aussitôt par la chaîne qui s’enroule sur un treuil à vapeur, descend lentement, la tête en bas, le long d’un plan incliné, en poussant des hurlements effroyables. Un homme l’attend au passage, qui, d’un coup de couteau, lui fend la gorge. Celui que nous voyons opéré de la sorte est. le trois cent cinquante millième tué dans ce seul établissement depuis le 1er janvier (je dis 350,000 !). Un décliquetage le fait tomber, tout vivant encore, dans une cuve d’eau bouillante, d’où une grille en fer que fait mouvoir un excentrique le rejette, d’un coup sec, dans un défilé bordé de huit roues à brosses, faisant quatre ou cinq cents tours à la minute, qui enlèvent toutes les soies : et puis ces gros corps tout ronds tombent d’étage en étage, subissant à chaque instant une nouvelle transformation. Il en passe sept à la minute ! Nous les suivons jusqu’à la chambre, pavée de gros blocs de glace, où il se refroidissent. Puis on nous fait arpenter l’atelier, où quatre cents charcutiers, tout en surveillant les guillotines à vapeur qui hachent la chair à pâté,