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gan[1]. Ils avaient dépassé de quelques milles son extrémité sud et constataient que la côte remontait presque directement vers le nord, lorsqu’ils arrivèrent sur le bord d’une lagune large et profonde qui venait se jeter normalement dans le lac. Cette lagune avait moins d’un mille de long ; à son autre extrémité elle recevait les eaux de deux rivières profondes, mais également fort courtes, l’une venant du nord, l’autre du sud, qui drainaient les plaines marécageuses des environs. Il faut noter qu’à cet endroit la ligne de partage des eaux du bassin du Mississipi vient presque tangenter le lac. Ce n’est, du reste, qu’une simple ondulation. à peine sensible, de la prairie. Ce pays bas et humide ne devait pas avoir l’air bien engageant ; il attira cependant l’attention des missionnaires. Les bêtes à fourrure pullulaient aux environs, ce qui faisait de l’embouchure de cette rivière une station très fréquentée par les Indiens Illinois ; les différentes petites tribus s’y retrouvaient chaque hiver, après s’être dispersées pendant l’été dans la prairie à la recherche du buffalo. À la suite de la visite du P. Joliet, il s’établit quelques relations entre le Canada et les Illinois. Des voyageurs profitaient, chaque printemps, des premiers beaux jours pour venir de Québec, à travers les lacs, apporter aux Indiens quelques marchandises qu’on échangeait contre les fourrures recueillies pendant l’hiver ; mais ils ne faisaient point d’établissement permanent. En 1804, seulement, le gouvernement des États-Unis, voulant probablement conserver ses droits sur le pays, y construisit, au milieu des marais, une station qui prit le nom de Fort-Dearborn. En 1812, les Illinois le brûlèrent et scalpèrent la garnison ; mais il fut reconstruit en 1816, et, cette fois, l’occupation fut définitive[2]. En 1830, une centaine de trafiquants et trappeurs, blancs ou métis, étaient venus se fixer, sous la protection de la garnison de Dearborn. Ils habitaient dans une douzaine de maisons en bois. En 1837, le village[3] s’était transformé en une petite ville de 4,000 habitants, et dès lors les progrès furent rapides. »



Telle fut la naissance de Chicago. Sa population s’accrut successivement d’une manière si prodigieuse que, s’il ne s’agissait pas des États-Unis de l’Amérique du Nord, on regarderait comme invraisemblables les chiffres donnés à cet égard par la statistique ; on comptait 4,479 Chicagois en 1840 ; 8,000 en 1844 ; ils étaient 29,000 en 1850 ; 109,000 en 1855 ; 150,000 en 1863 ; 265,000 en 1866 ; 300,000 en 1870 ; 503,000 en 1880 ; 1,099,850 en 1890 1 ,420,000 en 1892. Cette population, composée de tous les éléments, Yankees de la Nouvelle-Angleterre et de New-York, Européens (émigrés allemands, fenians irlandais, proscrits tchèques et polonais, révolutionnaires et aventuriers de tous les pays), fit preuve, à côté des défauts inhérents au tempérament, à l’éducation, au caractère, d’une énergie extraordinaire et indémentie. Il y eut dans ce groupement fortuit de tant d’entraînements divers, dans cette agglomération où la lutte pour la vie prima toute loi, des hommes qui surent faire servir cette crue sans

  1. Le nom de Michigan vient, croit-on, d’un mot qui signifie « piège à poisson », et fut sans doute donné au lac à cause de sa forme assez semblable a une nasse. Miche, michery, micher sont d’ailleurs des archaïsmes anglais qui se rencontrent encore dans les patois des comtés de Norfolk et de Westmoreland, où ils ont le sens de « dresser des embûches, embuscade, qui se tient aux aguets », que leur donne Shakespeare (Henri IV, 1re part., acte II, scène iv). (C.S.)
  2. Les magasins du fort se voyaient encore en 1856 au beau milieu de la ville.
  3. Ce village se trouvait à l’embouchure de la rivière Chicago ; de là son nom.