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Page:Mandat-Grancey Chicago 1898.djvu/24

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ne sont même pas garnies de toile cirée. Les fourchettes à deux dents sont en fer. Chaque client va se faire servir au comptoir un morceau de bœuf racorni au four, avec des légumes cuits à l’eau, On y ajoute un cornichon, et il s’en va content. En fait de boisson, il a le droit de puiser avec une cuiller à pot dans un baquet en bois où nagent de gros morceaux de glace. Les amateurs de luncheons sont encore moins difficiles. On leur découpe leur pitance dans une grosse masse noire, d’apparence compacte et graisseuse, qu’on décore du nom de pudding. Voilà le menu d’un working man américain.

Nous allons visiter un des entrepôts de grains, nommés élévateurs, dont la création a causé une telle révolution dans le commerce des céréales. Celui qu’on nous fait voir, l’un des plus importants de vingt-quatre qui existent à Chicago, se trouve au bord du lac et de la rivière : trois ou quatre navires accostés sont en chargement. Au moment où nous arrivons, un train entier chargé de blé s’enfonce dans la porte béante qui est la seule ouverture de l’immense bâtiment à six étages. Le fond de chaque wagon s’entr’ouvre et laisse glisser son chargement dans de grandes fosses creusées entre les rails. À peine le train est-il reparti, que des chaîne à godets enlèvent le grain aux étages supérieurs, où nous montons par un interminable escalier. Dans une pièce longue de soixante ou quatre-vingts mètres, sont alignés les réservoirs en bois où le produit de la moisson de centaines de milliers d’hectares vient s’accumuler chaque année avant d’être envoyé en Europe. Cette salle contient 1 800 000 bushels (1 bushel = 35 litres).

L’organisation financière de ces élévateurs mérite une mention, car il en a été fort question dans ces derniers temps. Quand un fermier américain a battu sa récolte, au lieu de garder son blé chez lui ou de le porter lui-même au marché, il s’empresse de l’envoyer à l’un de ces entrepôts. Des experts apprécient la qualité du grain et le classent dans une des cinq catégories admises par le commerce. Puis son propriétaire reçoit un bon de dépôt tout à fait analogue au livre de chèque que donne un banquier au client qui a mis des fonds dans sa maison. À partir de ce moment, le fermier a un crédit ouvert, non en argent, mais en bushels de blé. Il peut vendre ces bons ou les donner en gage, suivant ses convenances. Ce sont des valeurs négociables, qui passeront peut-être entre vingt mains différentes avant d’arriver dans celles du marchand qui prendra réellement livraison.

Au moment où nous examinons l’un de ces réservoirs, un surveillant y constate dans le grain quelques traces d’échauffement, causé par l’humidité. Une trappe est immédiatement ouverte à la partie inférieure, et les 8 ou 10 000 bushels qu’il contient sont projetés sur le sol d’une hauteur-de trente mètres environ. Cela suffit pour sécher complètement le grain, ainsi que nous pouvons nous