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Page:Mandat-Grancey Chicago 1898.djvu/6

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Le conductor du wagon Pullman, un superbe mulâtre à la casquette galonnée, nous a conduits à la section indiquée par le numéro d’ordre de nos tickets. Nous en prenons possession, et puis nous circulons d’un bout à l’autre du train pour en examiner l’installation.

Nos compagnons de voyage arrivent les uns après les autres. Deux jeunes filles de dix-sept ou dix-huit ans, fort jolies, probablement des School girls qui vont rejoindre leurs parents à Chicago, montent à leur tour sur la plate-forme. Elles n’ont, bien entendu, pas l’ombre d’un chaperon, mais ne paraissent pas souffrir d’un excès de timidité. Assis un peu plus loin, nous observons leurs petites manœuvres.

« Annie dear ! susurre la première, à travers son petit nez rose.

Minnie dear ! répond la seconde de la même manière.

— Quel est le numéro de notre section ?

— Numéro 3. Nous y voilà, Minnie dear. »

Le conductor qui les suit, pliant sous le faix d’un amoncellement de bibelots de tous genres, dépose ceux-ci avec une satisfaction évidente ; les deux petits nez roses émettent de nouveau quelques sons, lui font changer l’arrimage de leurs paquets, ce qu’il exécute avec une patience exemplaire, et puis, quand il va s’en aller :

« Annie dear, reprend la première, si nous nous installions de l’autre côté, dans la section n° 4 ; la vue est plus belle à gauche qu’à droite.

— C’est qu’elle est prise. Voyez ces couvertures, répond dear Annie en montrant les nôtres.

— Oh ! cela ne fait rien, ce sont des hommes. Conductor ! portez toutes nos affaires de l’autre côté. »

Sans hésiter une minute, le conductor jette au milieu du couloir nos impedimenta, et se met en devoir d’obéir. Heureusement Annie fait remarquer qu’à gauche, on a bien la vue, mais qu’on a aussi le soleil : à la suite de cette judicieuse réflexion, on fait faire un nouveau voyage, celui-ci définitif, à nos bibelots comme aux leurs, et nos deux charmantes petites personnes s’installent à leurs places.

Le train s’est ébranlé, et nous traversons à toute vapeur les rues de la bonne ville de New-Jersey. Pendant que le mécanicien siffle à plein diaphragme, le chauffeur fait sa partie, en sonnant à toute volée une énorme cloche établie sur le coffre à vapeur de la locomotive. La précaution n’est pas inutile, car la voie n’est protégée par aucune espèce de barrière : les piétons se garent comme ils peuvent ; les chevaux des tramways que nous croisons viennent se cabrer, le nez sur les marchepieds des wagons :on écrase souvent du monde, mais on ne paraît pas s’inquiéter outre mesure de cette éventualité. D’abord les machines sont ornées, à leur avant, d’un appareil en forme de pyramide renversée, nommé « ramasse-vache », cow-catcher, qui rejette sur la banquette tout ce qui peut