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Page:Mandat-Grancey La brèche aux buffles - 1889.djvu/117

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la brèche aux buffles.

L’année dernière j’ai déjà rencontré, sur le paquebot, un autre Normand émigré. Il n’avait pas quitté le pays dans les mêmes conditions que celui-ci et semblait fort heureux de son sort. Son histoire était bien drôle.

J’avais remarqué depuis le départ un passager de bonne mine, âgé de cinquante ou soixante ans, grand, gros, le teint fleuri, ne ressemblant en rien à un Américain. Il me suivait toujours de l’œil quand je passais à côté de lui et semblait désireux de faire connaissance. Un beau matin il m’aborda :

— Monsieur le baron, me dit-il avec un des plus beaux accents mainiaux que j’aie jamais entendus, j’avons bien souvent entendu parler de vous et de votre respectable famille !

— Monsieur, répondis-je, vous me faites beaucoup d’honneur. Je vois que vous êtes du Maine ou du Perche. Qu’est-ce qui me vaut le plaisir de vous rencontrer sur un transatlantique ?

— Mais oui, je sommes né à X… ! Mais voilà près de trente ans que j’avions quitté le pays ! Nos gens étions dans la culture ! J’avons toujours été élevé amont les chevaux. Je venis avec les premiers qu’on ameni en Amérique. Et puis quand j’ons vu le pays, j’ons voulu y rester. D’abord je fîmes de la culture : mais cela n’a mé point réussi. Alors j’avons fait autre chose.

— Et cela a mieux marché !

— Mais oui ! je pouvions point nous plaindre, dit-il d’un air modeste je me sommes mis dans l’instruc-

    était une doctoresse, de Toulouse ! Du reste tout s’arrangea pour le mieux, car trois jours après, l’épicier conduisait à l’autel la doctoresse, et depuis ce temps les habitants de Custer ne sont plus soignés, quand ils sont malades, que selon les formules de l’Académie de Montpellier. Espérons qu’ils apprécient leur bonheur !