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Page:Marais - La Carriere amoureuse.djvu/59

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— Vous ne vous êtes point dérangé sans but pourtant ?

— Non.

— Alors, que veniez-vous me dire ?

— Épousez-la.

— Hein ?… Ah ! mais, vraiment, monsieur, vous affectionnez sauter dans l’existence du voisin. Qui vous dicte ce conseil ?

— Mon amour pour elle. Ne riez pas. Je vous défends de baver sur ces sentiments-là. Vous êtes un grand écrivain, Claudières… vous avez mille fois plus d’esprit que moi, votre talent fait l’admiration des gens de goût, mais comme homme de cœur, vous valez moins que mon palefrenier. Taisez-vous donc… J’aime Nicole. Plus même : je la comprends… C’est une enfant… Vous la croyez vicieuse : elle n’est qu’instinctive ; tout le mal qui est en elle vient de son éducation : ce n’est pas la faute de l’arbre s’il a poussé de travers, et ça n’empêche pas les fruits d’être bons… Nicole s’est jetée dans vos bras, poussée par la force de la nature… en fille innocente, sinon ignorante. Quand un homme a reçu le premier baiser d’une bouche pure, il doit témoigner plus de gratitude que vous ne le faites. Vous pensez que je n’ai pas le droit de vous parler ainsi : moi, je prétends le contraire. Un honnête homme a toujours le droit, de plaider la cause d’une jeune fille… Si je voyais une inconnue attaquée par des rôdeurs, je la défendrais bien… Ne puis-je sauver Nicole de vous qui lui volez son bonheur ? Épousez-la, Claudières… Vous devez sentir tout ce qu’il me coûte de vous dire cela… Je sais qu’elle ne sera guère heureuse avec vous, mais sa vie se trouvera faite, et elle vous aime trop pour qu’il en soit autrement… J’ai tenté tout ce que j’ai pu pour la détourner de vous. Maintenant qu’il est impossible de revenir sur le passé, ma conduite doit vous dicter la vôtre…

« Vous ne répondez rien ?

Jean s’adosse à la cheminée et réplique tranquillement :

— Mon Dieu ! monsieur, je me serais fait scrupule de vous arrêter : on a rarement le plaisir d’entendre de si belles choses. Vous eussiez fourni une tirade de troisième acte à M. Capus. Ensuite, comme j’ai la prétention de n’être point dément, vous m’obligeriez en me laissant la liberté de mes décisions et en mettant une sourdine à votre sollicitude intempestive.