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Page:Marais - La Nièce de l'oncle Sam (Les Annales politiques et littéraires, en feuilleton, 4 août au 6 octobre), 1918.djvu/108

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Son geste démasqua François d’Hersac qui la suivait. Laurence se jeta dans les bras de son frère. Le jeune homme balbutia :

— Maman ?

— Elle est sauvée.

Le frère et la sœur se regardaient avec une joie sans mélange. Non, pourtant. Laurence avait le cœur serré. Pourquoi ? Elle s’était promis de ne penser qu’à sa mère, d’effacer l’ombre de Warton. Elle était troublée, étreinte d’une sourde angoisse : et cependant, elle ne songeait pas à Jack.

Était-ce le bonheur de revoir son frère qui l’accablait ainsi ; les sentiments extrêmes se touchent par une même intensité douloureuse. Un grand frisson de peur vague passait en elle.

Miss Arnott aperçut Warton, resté un peu en arrière. Avec sa belle spontanéité qui lui permettait d’esquiver les explications gênantes, elle bondit à la rencontre de son fiancé et lui jeta les bras autour du cou :

— Jack, Jack, que je suis heureuse de vous revoir ! s’écria-t-elle en l’embrassant à plusieurs reprises.

Le chirurgien se déroba imperceptiblement à cette impétueuse accolade ; ses mains, tout en serrant celles de Bessie, l’écartaient tout doucement, tendues en avant.

Laurence et François, dénouant leur étreinte, regardèrent les Américains d’un même regard blessé : l’amour, l’envie, l’amertume les faisaient souffrir devant ce baiser de fiancée. Ils éprouvaient un vide affreux, et ils étaient honteux de leur jalousie injustifiée ; — mais le propre de la jalousie, n’est-ce pas précisément son iniquité, puisqu’on est jaloux de ce qu’on ne possède pas ou de ce qu’on ne possède plus ?