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Page:Marais - La Nièce de l'oncle Sam (Les Annales politiques et littéraires, en feuilleton, 4 août au 6 octobre), 1918.djvu/11

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là, en effet, la garnison cosmopolite qui convenait à Babel, à la capitale du monde devenue le caravansérail de la guerre.

Le jeune homme s’était décidé à suivre la passante. La gaieté de cet été radieux qui caressait la cité ardente comme d’un baume d’espoir ensoleillé, semblait une protestation muette de la nature contre l’homme : « Je fleuris, quand tu te bats ; j’aide à naître quand tu extermines ; je rayonne, et tu incendies ; grâce à moi, la plaine était devenue un champ de blé : tu en fais un cimetière… Imbécile ! »

Ainsi parlait l’azur.

Le jeune militaire en congé songeait en souriant que, devant l’agression allemande, les Français se découvrent deux devoirs : se défendre au front ; aimer, à l’arrière. Il venait d’accomplir le premier crânement. Il rêvait à présent de remplir le second, gaiement.

D’un geste de décision brusque, il rejoignit la jeune fille qui tournait l’angle de la rue du Mont-Thabor ; et il commença :

— Mademoiselle, où courez-vous donc si vite…

Son sourire galant se figea sur ses lèvres. La passante avait redressé la tête et le toisait, sans un mot.

C’était une jeune fille, très jeune — dix-huit à vingt ans — d’une beauté prenante, expressive, émouvante. La pâleur de son blanc visage ressortait encore par le contraste des vêtements noirs, du chapeau foncé et des cheveux très bruns. Les sourcils arqués, d’un dessin oriental, donnaient une intensité singulière au regard profond des yeux bleus, d’un bleu sombre qui révélait son origine méridionale.