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Page:Marais - La Nièce de l'oncle Sam (Les Annales politiques et littéraires, en feuilleton, 4 août au 6 octobre), 1918.djvu/122

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d’un immense attendrissement qui adoucissait l’horreur de sa douleur filiale et l’âcreté de sa déception amoureuse.

XVII

Miss Arnott s’était installée en cet hôtel de la place Vendôme, cher à ses compatriotes — avec ou sans jeu de mots. Elle y attendait que Jack Warton, suivant sa promesse, obtînt qu’elle fût agréée par l’infirmière-major de Neuilly-sur-Marne et pût vivre ainsi auprès de son fiancé. Elle divertissait son impatience en remplissant sa chambre des multiples acquisitions faites, çà et là, au hasard de ses courses à travers Paris.

Tout l’intéressait. Elle prenait un plaisir plus élevé que celui de la curiosité à causer avec les humbles qui l’approchaient, les ouvrières de modes, les demoiselles de magasin, les femmes de chambre de l’hôtel, même. Elle découvrait chez toutes des sentiments délicats, une certaine pudeur à se plaindre, un amour-propre de gaieté, un stoïcisme de vraies latines se traduisant par un défi gouailleur où Plaute se retrouvait sous la blague de Gavroche ; et Bessie devinait en elles un raffinement spécial qu’elle n’avait jamais rencontré chez des Anglo-Saxonnes de la même classe et qu’elle attribuait à cette force d’idéalité qui est la caractéristique de la race française.

La plupart de ces femmes avaient quelque parent au front. Bessie remarquait qu’elles se leurraient dans l’attente joyeuse de la prochaine permission, au lieu de se décourager dans la tristesse de la séparation forcée. Rapprochant ce sentiment de la sensation d’insouciance qu’elle avait eu lieu d’observer chez les combattants de Toul, la jeune Américaine songeait que ceux-ci avaient bien la même mentalité que celles-là ; et pensait : « Un peuple qui sait vivre d’espérance a déjà conquis l’avenir. »