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Page:Marais - La Nièce de l'oncle Sam (Les Annales politiques et littéraires, en feuilleton, 4 août au 6 octobre), 1918.djvu/124

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Le jeune homme répondit avec une âpre ironie, d’un ton flegmatique :

— Je n’ai aucune raison valable à invoquer pour obtenir une prolongation de congé… Ma mère est morte et enterrée.

Bessie fut impressionnée par cette détresse sardonique qui trahissait l’irrémédiable désespoir du jeune homme. Elle interrogea :

— Comment va Laurence ?

— Bien accablée. Elle a donné un tel effort d’énergie… à présent, la réaction est fatale. Elle tâche à paraître vaillante ; mais, dès qu’elle cesse de s’observer, elle reste morne, abattue, absorbée, sans parler, sans même se plaindre… elle m’inspire une pitié déchirante. La voilà seule… et je dois la laisser en butte à ces mesquines cupidités qui rassemblent les vivants autour de la mort comme des mouches au-dessus d’une charogne. On a déjà commencé de nous harceler sans pudeur. Certains de nos créanciers n’ont pas attendu vingt-quatre heures après le décès pour sonner à la porte. Ce Thoyer, qui avait obtenu en juillet dernier une saisie-arrêt sur nos biens, vient de faire mettre sous scellés nos meubles, les objets personnels de notre mère ; j’ai eu beau arguer de mon titre de mobilisé : ma sœur est encore mineure, donc il agit légalement. Et c’est une torture de plus pour moi — qui suis avocat — de constater que cet embusqué de Thoyer, tapi comme une araignée dans son étude de la rue du Mont-Thabor, a le pouvoir de nous étrangler au nom du droit civil, nous qui nous faisons tuer pour défendre le Droit humain. Et j’ai passé les derniers jours de ma permission a essayer d’arranger les choses… Je suis en pour-parlers avec un marchand qui achète nos meubles de valeur, nos portraits an-