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Page:Marais - La Nièce de l'oncle Sam (Les Annales politiques et littéraires, en feuilleton, 4 août au 6 octobre), 1918.djvu/19

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Thoyer discuta :

— Vous ne touchez pas un seul de vos loyers ?… C’est invraisemblable. Votre immeuble est une maison bourgeoise de quatre étages, ancien hôtel du faubourg Saint-Germain, rue Vaneau : il ne s’y trouve pas d’appartement au-dessous de trois mille francs ; je l’ai constaté à l’enregistrement. Et aucun de ces locataires à gros loyers ne paye ? Et vous n’avez pu obtenir de jugement contre eux ?

Laurence riposta vivement :

— Cela est, pourtant… Et facilement contrôlable. Nous n’avons que trois locataires : l’un a été tué à l’ennemi et sa veuve est ruinée. L’autre est un avocat mobilisé, actuellement à Salonique. Quant au dernier, à la dernière plutôt, car c’est une dame, la seule qui pourrait et devrait payer… Mlle Gilette Avril, des Variétés… Je l’ai appelée chez le juge de paix qui nous a renvoyées devant le tribunal. À l’audience des référés, M. le Président Bolimier, impressionné par les grâces suggestives de Mlle Gilette, a estimé qu’il fallait la considérer comme une artiste dramatique touchée par la guerre qui la privait d’engagement, et lui accorda le bénéfice du moratorium.

Thoyer haussa les épaules, et objecta :

— L’avoué qui vous défendait est donc un idiot ?

— Au contraire, c’est un homme très intelligent : Me Henriot. Comme il a su que Mlle Gilette est l’amie d’un de nos ministres actuels, il a jugé habile de perdre la cause de sa cliente pour gagner la faveur de l’adversaire.

Thoyer resta silencieux. Cette lamenlable histoire d’une femme désarmée