Page:Marais - La Nièce de l'oncle Sam (Les Annales politiques et littéraires, en feuilleton, 4 août au 6 octobre), 1918.djvu/34

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de faits divers, de feuilletons dramatiques et de cinéma pathétique, il s’attendrit aussitôt sur cette détresse qu’il va conduire. Un intérêt de curiosité le gagne à Laurence : il apporte autant d’envie qu’elle à parvenir au but. Il démarre, après avoir averti :

— Ayez pas peur : on ira rondement. Le Perray, je ne sais pas où c’est, mais ça ne fait rien… Faut toujours passer par Versailles : après on se renseignera.

Et, fier de l’importance de sa mission, il file à toute vitesse sur l’avenue du Bois.

Laurence évoque la vision de tout à l’heure : cette face exsangue d’agonisante… Elle gémit :

— Oh ! maman… Ma pauvre petite maman qui ne pensait qu’à nous !

Car on regrette surtout la perte d’un être cher par un retour d’inconscient égoïsme sur soi-même. On dit toujours, d’un mort qu’on pleure : « Il m’aimait tant ! »

Le chauffeur, qui l’entend sangloter, penche vers elle une bonne figure :

— Ayez crainte, je vous dis… On va rouler ferme.

Dans l’hyperesthésie que lui communique la douleur, Laurence est extrêmement frappée des témoignages de sensibilité qu’on lui donne. Elle qui vient de souffrir trois années d’injustice, de cruauté et d’indifférence humaines qui l’avaient rendue misanthrope, la voilà touchée de ce revirement : tout le monde est bon pour elle depuis qu’elle a ce chagrin fou. M. Litynski, tout à l’heure, qui lui rendait sa liberté en plein inventaire ; ce chauffeur inconnu qui lui marque une brave sympathie peuple… Elle s’exagère la générosité d’autrui