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Page:Marais - La Nièce de l'oncle Sam (Les Annales politiques et littéraires, en feuilleton, 4 août au 6 octobre), 1918.djvu/52

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« Ce n’est pas la même chose » : l’argument féminin, qui justifie tout en n’expliquant rien, montait à ses lèvres.


— Je viens prendre des nouvelles de madame votre mère.

Teddy Arnott articulait sa phrase grave avec cet accent nasal qui rendrait une oraison funèbre drolatique. Et, toujours, Laurence se sentait réconfortée par les visites du petit Américain qui apportait un élément de gaieté dans la demeure lugubre où la jeune fille vivait en recluse, au chevet de sa mère. Avec son petit air décidé, net, propre, bien lavé, bien brossé, et la comique dignité où se guindait son extrême jeunesse, le blond Teddy excitait irrésistiblement le sourire — un sourire très sympathique.

Mais cet après-midi, Laurence était déprimée en face de son hôte.

Il annonça :

— J’ai reçu mon ordre de départ pour T… Je devrais partir demain. J’attendrai encore un jour pour reprendre des nouvelles.

Devant l’indifférence accablée de Laurence, il questionna :

— Elle va plus mal ?

— Non.

Teddy reprit avec intérêt :

— Alors, qu’avez-vous ?… Vous regardez triste.

Laurence esquissa un sourire. Touchée, elle fut encline à se livrer. Candide, — comme toute femme, en face d’un uniforme vert-de-gris, sans galon, sans fantaisie, sans fraîcheur, un peu fatigué aux coutures, — elle ne soupçonnait point la situation sociale de son partenaire. Pour elle, c’était le « soldat américain » ; un soldat n’est jamais riche, aux yeux d’une dame.