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Page:Marais - La Nièce de l'oncle Sam (Les Annales politiques et littéraires, en feuilleton, 4 août au 6 octobre), 1918.djvu/66

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Mais à l’aube, sa tristesse se dissipa, divertie par les préparatifs de départ.

Dans la plaine grise où le soleil levant répandait une lueur jaunâtre, des ombres d’hommes s’agitaient autour de l’appareil ; et, de loin, Teddy les compara à des fourmis grouillant autour d’un cadavre de sauterelle.

Le nouvel avion était un biplan à double hélice appelé à faire merveille dans les expériences de vol plané ; les compétents discutaient de sa construction à grand renfort de termes techniques.

Le pilote s’avança gaiement, suivi de Teddy Arnott qui avait changé son feutre contre le bonnet fourré et endossé la casaque de cuir. Malgré la coiffure qui lui couvrait les oreilles, l’assourdissant à moitié, et le vêtement engonçant qui l’étouffait, le jeune homme frissonnait sous la fraîcheur matinale et ressentait ce léger mal de cœur qui nous indispose au grand air après une nuit blanche.

Une sensation pénible d’isolement l’affecta brusquement ; il allait tenter sa première ascension au milieu de l’indifférence générale. Ceux qui s’intéressaient à son sort — son père, son oncle, ou Warton — ignoraient son entreprise. L’unique créature qui se préoccupât de lui à cet instant était une jeune fille prostrée au pied d’un lit de douleur. Mais aucun des êtres présents ne lui apportait le réconfort d’une assistance : son ami l’aviateur, insouciant de sa propre vie et âgé lui-même de vingt ans, ne songeait à s’apitoyer ni sur le danger qu’allait courir son passager, ni sur sa jeunesse ; au contraire, il avait la conviction de lui rendre service en exauçant son désir.

Et l’intrépide Teddy cachait un secret qui rendait excusable sa faiblesse passagère.

(À suivre) JEANNE MARAIS.

(Illustrations de Suz. Sesboué).