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Page:Marat - Éloge de Montesquieu, éd. Brézetz, 1883.djvu/104

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J.-P. MARAT

aux grands mouvemens de l’éloquence, il a même préféré l’ironie au pathétique.

Dans sa remontrance aux[1] inquisiteurs d’Espagne, il pouvoit faire retentir les longs et sourds gémissemens du désespoir, peindre des plus noires couleurs les fureurs atroces du fanatisme, et réclamer avec de saints transports les droits sacrés de la nature. Rien de tout cela, c’est un modèle de douceur, de style simple et naïf.

Et[2] l’ordonnance sur l’avidité des Courtisans ! Croiroit-on qu’indigné des libéralités immenses que les princes versent sur eux, et toujours aux dépens des peuples, il eût pris un ton aussi léger ?

Mais c’est ici que l’étonnement redouble. Il s’agissoit de plaider la cause des Nègres, cette malheureuse partie du genre humain, depuis si longtemps sacrifiée à l’avarice et à la cupidité d’une poignée de colons. Jamais sujet ne prêta plus au pathétique ; mais écoutez l’auteur[3] :

« Si j’avois à soûtenir le droit que nous avons eu de rendre les Nègres esclaves, voici ce que je dirois :

» Le sucre seroit trop cher, si l’on ne faisoit travailler la plante qui le produit par des esclaves.

» Ceux dont il s’agit sont noirs des piés jusqu’à la tête, et ils ont le nés si écrasé, qu’il est presque impossible de les plaindre.

» On ne peut se mettre dans l’esprit que Dieu qui est un Être très sage ait mis une âme, surtout une âme bonne, dans un corps tout noir.

» Il est si naturel de penser que c’est la couleur qui constitue l’essence de l’humanité, que les peuples d’Asie qui font des eunuques, privent toûjours les noirs du rapport qu’ils ont avec nous d’une façon plus marquée.

  1. Esprit des Loix, liv. 25, chap. XIII.
  2. Lettre 124.
  3. Esprit des Loix, liv. 15, chap. V.