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Page:Marat - Éloge de Montesquieu, éd. Brézetz, 1883.djvu/108

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J.-P. MARAT

de lecteurs instruits. Ainsi la gloire, dont la soif précipite si souvent les grands hommes à la célébrité, à travers les obstacles, la jalousie, la haine, les dégoûts, les humiliations, Montesquieu l’a connue, mais il n’en connut guère que les douceurs ; le piquant de son esprit avoit servi de sauvegarde à l’élévation de son génie. Il avoit imposé silence à l’envie par la crainte du ridicule ; il la subjugua ensuite par l’admiration.

La gloire, qui déjà ne pouvoit plus lui échapper, sembloit seule suffire à son cœur. Digne des distinctions les plus honorables, il n’en sollicita jamais aucune. Peut-être avoit-il réduit à leur juste valeur ces talismans de la vanité humaine, dont le peuple de tous les rangs se laisse si sottement éblouir. Peut-être encore avoit-il été révolté de la bassesse dont ils sont si souvent le prix. Soit dédain, soit phylosophie, il parut s’oublier lui-même ; mais il se fit un devoir de protéger à la cour des hommes de lettres persécutés, et de demander des grâces pour des hommes de mérite malheureux.

Quoiqu’il aimât la société, il savoit s’en passer, et c’étoit toujours avec un nouveau plaisir qu’il alloit à sa terre chercher la solitude et le repos. Là, partageant son loisir entre ses livres et les habitans de la campagne, il étudioit l’homme dans ces âmes simples que la nature seule semble former, comme il l’avoit étudié dans le commerce des gens du monde et dans l’histoire des nations. Ne pouvant les élever jusqu’à lui, il s’abaissoit jusqu’à eux, il leur cherchoit de l’esprit ; mais il ne paraissoît jamais se plaire davantage parmi eux que lorsqu’il terminoit leurs différens ou qu’il soulageoit leur misère.

Ici, Messieurs, je voudrois déployer à vos yeux les principaux traits d’une vie consacrée à la bienfaisance. Que d’actions généreuses, dignes de vivre à jamais dans le souvenir des hommes ! Mânes bienheureuses du vertueux