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Page:Marat - Éloge de Montesquieu, éd. Brézetz, 1883.djvu/91

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ÉLOGE DE MONTESQUIEU

que gouvernement. Mais en renversant ainsi tous les rapports et confondant toutes les idées, ils ont fait voir qu’ils n’avoient aucune notion des choses dont ils s’érigeoient en juges ; car le principe de chaque gouvernement doit être tiré de la constitution même. Pour le saisir, il suffit de se représenter l’État au moment de sa formation, et de voir l’esprit dont ses fondateurs étoient animés : c’est cet esprit qui fait le principe du gouvernement. Or ce fut la vertu politique[1] ou si l’on veut l’amour de l’égalité qui forma la démocratie ; ce fut l’amour de l’égalité parmi les chefs d’une association qui forma l’aristocratie ; ce fut l’honneur, cet amour de l’estime, cette soif des distinctions, qui forma la monarchie ; et ce fut la terreur ou la crainte qui forma le despotisme. Le principe de l’institution peut donc seul la maintenir. Ainsi chaque gouvernement a un principe propre et essentiel. Lui en attribuer un autre, c’est lui en attribuer un qui, non-seulement lui est étranger, mais qui ne peut lui convenir. Comment la crainte seroit-elle celui d’une démocratie ? Les membres de l’État en sont les souverains. Et comment l’amour de l’égalité seroit-il d’un État monarchique ou d’un État despotique ? Ces États sont fondés sur l’inégalité. Donner à un gouvernement un autre principe que celui qui lui est propre, c’est vouloir que ses fondateurs n’ayent pas été animés par l’esprit qui les animoit. Aussi le gouvernement dégénère-t-il à l’instant où son principe vient à s’altérer. Vérités d’une évidence géométrique, que l’auteur a si bien développées pour ceux qui pensent, mais dont ses censeurs ne se doutoient pas[2].

  1. C’est toujours ce que l’auteur entend par vertu. Voyez sa préface dans la nouvelle édition de l’Esprit des Loix.
  2. Prétendre, comme quelques auteurs l’ont fait, que les vertus morales sont le principe de tous les gouvememens, c’est prétendre que tous les peuples de la terre sont composés de saints, d’hommes associés pour tendre à la perfection.