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Page:Marbeau Le charme de l histoire 1902.djvu/115

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dufort de cheverny

pagné son maître jusqu’au pied de l’échafaud, courait à la recherche du fils, afin de sauver au moins quelqu’un de la famille. Le nombre même des arrestations contribuait à entretenir la confiance des victimes. Dufort, après avoir cité une longue liste de personnes notables emprisonnées coup sur coup à Blois, ajoute : « Enfin une belle nuit il en vint tant que toute la ville, pour ainsi dire, était en prison. Cela ne pouvait être regardé comme une mesure sérieuse. Chacun se rassura, et l’on passa son temps plus gaiement qu’on ne l’avait espéré » (II. 175).

Ce n’est point par inadvertance que Dufort écrit ici ce mot gaiement, qui, au milieu de tant de misères, résonne comme une note fausse. Ces représentants de l’ancienne société qui s’effondrait, ces hommes et ces femmes qui se savaient menacés de mort, qui voyaient mourir autour d’eux leurs amis et leurs compagnons, qui, lorsque leur tour arrivait, mouraient avec tant de courage, songeaient encore à se divertir et à s’amuser. Comme Salaberry, ils avaient « besoin de distractions ». À toutes les périodes sanglantes de la Révolution nous trouvons, dans les mémoires de Dufort, à côté des scènes les plus lamentables, le récit d’une fête, d’un bal, de réunions de société. Ainsi, en novembre 1798, les possesseurs de terres, ennuyés et persécutés, viennent presque tous habiter Blois : chaque soir,