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Page:Marbeau Le charme de l histoire 1902.djvu/221

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le livre de la pousta

entrons. Au milieu de la chambre, autour d’une grande table, trois ou quatre paysans jouent aux cartes. Le long des murs, des morts, des agonisants. Étendues sous la fenêtre, deux petites filles s’enlacent convulsivement. Elles sont mortes, me dit un des veilleurs, tout en attisant le feu de sa pipe. Le père est mort ; le grand-père, se meurt. Qu’est-il donc arrivé ? demandai-je aux veilleurs. La réponse m’est donnée par une femme d’une trentaine d’années, couchée dans le lit. Elle se dresse sur son séant, appuie sa tête sur son poignet jauni, se penche en avant et me sourit. Malgré ses souffrances surhumaines, elle n’oublie pas les honneurs qu’elle croit devoir à un hôte de marque. Elle tourne vers moi ses yeux glacés, et, avec les formes d’un serviteur qui parle à son maître, me dit : C’est mon fils, Monsieur, qui avant-hier a trouvé des champignons… — Le médecin ? — Le médecin est loin… son temps cher… Puis, qui serait allé le chercher ? — L’un des veilleurs ouvre enfin la bouche : Nous aussi, nous n’avons été informés que ce matin. C’est le hasard qui nous a amenés ici ; nous allions aux champs…

« La pauvre mère souffre atrocement. Elle ne le montre pas cependant et elle continue : aujourd’hui le médecin est venu vers midi ; mais c’était trop tard !… Si au moins le prêtre pouvait venir !

« Soudain elle se redresse, joint les mains, et,