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Page:Marbeau Le charme de l histoire 1902.djvu/277

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la rochefoucauld et la comtesse diane

faire un mérite ! Peut-être aurions-nous mauvaise grâce à le leur reprocher, nous qui, pour exprimer qu’un homme dépense beaucoup relativement à son revenu, disons qu’il vit honorablement.

Mais pour satisfaire à ce devoir que la situation sociale imposait sous peine de déchéance, pour tenir son rang à la Cour, pour faire figure à l’armée, il fallait de l’argent, et, afin de s’en procurer, les rands seigneurs avaient recours, sans rougir, à des moyens que l’usage autorisait alors et qui révolteraient aujourd’hui notre probité bourgeoise et notre fierté démocratique. Quel ministre de rencontre, quel agitateur politique de bas étage aurait de nos jours l’impudence d’avouer, s’il avait eu la faiblesse de s’en rendre coupable, des actes tels que ceux dont l’intègre Sully et le fier La Rochefoucauld se glorifient dans leurs Mémoires ?

Sully, naïf dans son amour de l’or, et probe à sa manière, même dans les actes que nous réprouverions aujourd’hui, raconte avec force détails qu’il s’est enrichi dans sa jeunesse par les rançons des prisonniers et par le pillage, plus tard par les dons du Roi et par les pots-de-vin des traitants. On sortait à peine du régime féodal ; le butin et les rançons étaient encore le droit de la guerre. Chaque seigneur, chaque gouverneur de ville ou de province, chaque gentilhomme se regardait comme un petit souverain, et faisait la guerre à ses frais et à son