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Page:Marbeau Le charme de l histoire 1902.djvu/289

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la rochefoucauld et la comtesse diane

qui goûte un plaisir aussi délicat à recevoir que son ami en sent à lui donner » (Des biens de fortune). Il a soin de nous avertir d’ailleurs qu’il suppose le service rendu par un ami, par ceux qu’on aime ; la Comtesse Diane de son côté dit par celui à qui on aurait tout donné. Ni l’un, ni l’autre, sans doute, n’eût parlé dans les mêmes termes d’un secours offert par le dédain d’un supérieur ou par la pitié d’un étranger.

La Comtesse Diane n’avait certainement pas dans la mémoire ces passages de La Bruyère lorsqu’elle a écrit ses Maximes de la vie ; il n’en est que plus intéressant de remarquer qu’à deux cents ans de distance, dans des conditions et dans des milieux si différents, les deux moralistes se sont rencontrés pour exprimer avec une exquise délicatesse un sentiment profondément vrai, qui n’étonnera que les âmes vulgaires, et pour affirmer que l’on peut honorablement devenir l’obligé d’un ami sans devenir son inférieur. La dignité n’est pas fatalement atteinte par le bienfait, la reconnaissance n’est pas une sujétion, et quand c’est vraiment le cœur qui donne, l’égalité n’est pas à tout jamais rompue.

Avant de quitter cette matière, nous ne résistons pas au plaisir de citer encore une Maxime de la vie dont la forme est superbe et qui atteste une grande profondeur d’observation : « Si un homme qui tombe veut se relever, qu’il se hâte de saisir la