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Page:Marbeau Le charme de l histoire 1902.djvu/316

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le charme de l’histoire

des partis, des ambitions, des intrigues, il n’y avait nulle part un drapeau, emblème de la France, devant lequel se seraient inclinés respectueusement tous les enfants du même pays. L’idée de la patrie, on ne l’aurait à cette époque trouvée que dans les vers de Corneille !

Mais pendant les longs troubles qui avaient précédé la grandeur de Louis XIV, La Rochefoucauld avait vu les personnages les plus élevés de l’État monter sur l’échafaud ; il rappelle leurs noms dans ses Mémoires. Il n’avait pas oublié que lui-même, à différentes reprises, avait risqué sa tête. Aussi nous dira-t-il : « Ceux qu’on condamne au supplice affectent quelquefois une constance et un mépris de la mort qui n’est en effet que la crainte de l’envisager. De sorte qu’on peut dire que cette constance et ce mépris sont à leur esprit ce que le bandeau est à leurs yeux » (21). Aujourd’hui, bien que les souvenirs de la Terreur planent encore sur notre histoire et projettent sur notre avenir un nuage sanglant, nous ne songeons pas, dans la vie ordinaire, que l’échafaud puisse menacer un homme qui n’est pas un criminel ; un moraliste ne suppose pas que le lecteur pour lequel il écrit soit prédestiné à devenir un assassin, et il laisserait aux criminalistes ou aux philanthropes réformateurs le soin de décrire les sentiments d’un condamné à mort.