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Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome IV.djvu/291

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DU TOME SECOND

autres femmes estes ou fustes, de fait ou de volonté, putes » ; dont il encourut une telle inimitié des Dames de la Cour pour lors, qu’elles, par une arrestée conjuration & avis de la Reync, entreprirent un jour de le foüetter & le dépouillèrent tout nud, &, estant prestes à donner le coup, il les pria qu’au moins celle qui estoit la plus grande putain de toutes commençast la première. Chacune, de honte, n’osa commencer, & par ainsi il évita le fouet. J’en ay veu l’histoire représentée dans une vieille tapisserie des vieux meubles du Louvre. J’aimerois autant un Prescheur qui, preschant un jour en bonne compagnie, ainsi qu’il reprenoit les mœurs d’aucunes femmes & leurs marys qui enduroient estre cocus d’elles, il se mit à crier : « Oui, je les connois, je les vois, & m’en vois jetter ces deux pierres à la teste des deux plus grands cocus de la compagnie » ; &, faisant semblant de les jetter, il n’y eut homme du sermon qui ne baissast la teste, ou mist son manteau, ou sa cape, ou son bras au devant pour se garder du coup. Mais luy, les retenant, leur dit : « Ne vous dis-je pas ? Je pensois qu’il n’y eust que deux ou trois cocus à mon sermon ; mais, à ce que je voy, il n’y en a pas un qui ne le soit ». Or, quoy que disent ces fols, il y a de fort sages & honnestes femmes, ausquelles, s’il falloit livrer bataille à leurs dissemblables, elles l’emporteroient, non par le nombre, mais par la vertu, qui combat & abat son contraire aisément. Et, si ledit Maistre Jean de Meun blasme celles qui sont de volonté putes, je trouve qu’il les faut plustost loüer & exalter jusqu’au ciel, d’autant que, si elles bruslent si ardemment dans le corps & dans l’ame, &, ne venant point aux effets, font parestre leur vertu, leur constance & la générosité de leur cœur, aymant plustost brusler & se consumer dans leurs propres feux & flammes, comme un phénix rare, que de forfaire ni souiller leur honneur, & comme la blanche hermine, qui aime mieux mourir que de se souiller (devise d’une très grande dame que j’ay cogneue, mais mal d’elle pratiquée pourtant), puisqu’estant en leur puissance d’y pouvoir remédier se commandent si généreusement, & puisqu’il n’y a plus de belle vertu ny victoire de se commander & vaincre soy-mesme. Nous en avons une histoire très belle dans les Cent Nouvelles de la Reyne de Navarre, de cette honneste Dame de Pampelune, qui, estant dans son ame & de volonté pute, & bruslant de l’amour de M. d’Avanes, si beau Prince, elle ayma mieux mourir dans son feu que de chercher son remède, ainsi qu’elle luy sçeut bien dire en ses derniers propos de sa mort. Cette honneste & belle dame se donnoit bien la mort très-iniquement & injustement ; &, comme j’ouys dire sur ce passage à un honneste homme & honneste dame, cela ne fut