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Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome IV.djvu/310

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NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS

Après le tragique dénoûment de ses infortunes conjugales, Charles adopta, dit-on[1], pour cimier à ses armes, un ange tenant l’index sur sa bouche : ce symbole signifiait sans doute, dans sa pensée, qu’il fallait savoir se taire lorsqu’on voulait être assuré de se venger. Au XVIIe siècle, cet ange du silence se voyait encore sculpté au-dessus des armoiries de Charles, sur la porte de la maison qu’il occupait dans la rue des Clercs, à Grenoble ; cette sculpture a disparu, mais nous en retrouverons l’équivalent dans ses sceaux & dans les peintures qui ornent les livres de sa bibliothèque & dont il sera question tout à l’heure. S’il adopta en effet ce symbole à la suite du malheur qui l’avait frappé, cet événement dut avoir lieu à la fin de 1505 ou au commencement de 1506, car le premier monument où nous voyons les armoiries de Charles surmontées de l’ange du silence est un sceau appendu à une quittance, datée de Milan le 31 juillet 1506[2].

M. Le Roux de Lincy, dans les notes qui accompagnent son édition des Contes de la Reine Marguerite, a su retrouver fort exactement le nom du Président dont parlait cette Princesse dans la trente-sixième Nouvelle ; il nous semble moins heureux lorsqu’il a voulu voir dans cette Nouvelle une imitation de celle du roi Louis XI qui porte le no 47[3]. Il s’agit, il est vrai, dans l’un & l’autre de ces deux récits, d’un magistrat trompé par sa femme & qui se venge sans scandale ; mais là s’arrête la ressemblance. Tandis que le héros de Marguerite de Navarre n’est pas Français, est Président au Parlement de Grenoble & empoisonne sa femme, celui de Louis XI est Français, Président au Parlement de Provence & fait noyer son épouse coupable par sa mule, rendue folle par une soif ardente. Un magistrat trompé qui se venge, cela ne nous paraît pas constituer un événement assez rare dans les fastes de l’humanité pour qu’il n’y ait pu avoir dans le cours d’un siècle deux personnages de cet ordre ayant subi le même malheur & ayant eu recours à un expédient peu différent pour se débarrasser de leur femme. M. Le Roux de Lincy me paraît avoir été égaré dans cette assimilation par le récit que Guy Allard fait de cet événement ; cet historien suit en effet exactement le récit du Roi

  1. Guy Allard. Dictionnaire du Dauphiné & Présidents & premiers Présidents du Parlement de Dauphiné. Grenoble, 1695.
  2. Bibliothèque nationale, Cabinet des titres, pièces originales, vol. 680, no 15,921. Quittance originale avec sceau.
  3. Ce conte de Louis XI a été imité depuis par Bon. Desperiers (Nouv. XC, éd. de la Bibl. Elz., II, 296-301) & Verboquet (les Délices de Verboquet, 1623, p. 62).