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Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome IV.djvu/84

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L’INQUISITEUR

Quatre ans y a que suis Inquisiteur
De nostre foy, sans espargner personne.
Je ne dys pas que, si quelcun me donne
Ung bon présent pour rachacter sa vye,
Mais que jamais à nully mot ne sonne,
Qu’à le saulver promptement n’aye envye.

Mais à ung sot, il se laisse mourir
Par ung tesmoing que
[lors] je luy suscite,
Et ne se veult par argent secourir,
Comme raison à ce faire l’incitte.
Bien que de mort ne voye nul méritte,
Il passera par le feu toutesfoiz
Et, si ung peu mon cerveau il irrite,
Brusler tout vif pas grant compte n’en faiz.

Car il vault myeulx qu’un homme innocent meure
Cruellement, pour estre exemple à tous,
Que cest erreur plus longuement demeure,
Par qui noz loix vont sans dessus dessoubz.
Si l’homme meurt innocent, simple & doulx,
Bien heureulx est ; au Ciel trouvera place ;
S’il est mauvais, soustenir pouvons nous
Qu’en le faisant mourir on lui faict grace.

Bons & maulvais, la chose est claire & ample,
J’envoye au feu, quant ne sont présentez ;
Je n’ay regard seulement qu’à l’exemple
Et ne me chault de tous les tourmentez.
Assez de gens se sont mal contantez
De ma rigueur, mais je n’en faiz que rire ;
Je n’ay nul soing, fors que bien augmentez
Soient de par moy les moyens de martire.