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Page:Marie Nizet - Le capitaine vampire.djvu/103

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— Mes enfants, il y a là-bas un point noir que le brouillard nous cache ; cela s’appelle la redoute de Grevitza : nous allons la prendre. Nous aurons, au-dessus de nous, des obus ; devant nous, des baïonnettes ; sous nos pieds, de la poudre (la redoute est minée) et derrière nous… le grand-duc Nicolas. Il paraît que c’est aujourd’hui la fête du tzar. Il s’agit de régaler Sa Majesté d’un beau spectacle. Je dois vous faire tuer tous plutôt que de reculer. C’est l’ordre impérial. Croyez-en votre vieil ami : nous sommes perdus ! Ce n’est pas gai, ce que je vous dis là, mais vous en avez vu d’autres et vous mourrez stoïquement sur la brèche, comme des fils de Roumains que vous êtes ! Mettez immédiatement ordre à vos affaires, et, si vous avez de l’argent, déposez-le au quartier général : on l’enverra à vos parents. Puis-je compter sur vous ?

— Nous vous suivrons, mon général, avaient répondu les voix unanimes des soldats.

Mais sur tous ces visages l’enthousiasme guerrier était remplacé par la résignation morne des condamnés.

Rélia seul s’était tu. Il était craintif et timide comme le sont la plupart des enfants que leurs mères n’ont pas aimés. La mort l’épouvantait, de même que les ténèbres. Son âme était tendre, accessible aux sentiments généreux ; il avait compris que le dévouement est une plante rare qui se développe souvent mieux dans les cœurs plébéiens que dans les cœurs bien nés, comme disent les boyards. Ce pauvre être, essentiellement inoffensif, sentait que, sans Isacesco, il n’était qu’une feuille jetée au cours du torrent, et il avait voué à son sauveur une amitié, un culte passionné qui se manifestait par une entière soumission et par d’éternelles protestations de tendresse enfantines.